Mailine Swildens dirige l'équipe Creative Works de Google dans la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique. Son travail permet aux marques d'améliorer leurs résultats business grâce à des créations plus attrayantes et efficaces.
Vous avez probablement regardé une vidéo feel good au cours de ces derniers jours. Vous savez, une de ces vidéos qui fait sourire ou vous arrache une larme. Des histoires de familles qui fuient le chaos urbain pour s'installer au calme à la campagne, ou des récits de personnes qui viennent en aide à un·e inconnu·e, ou encore par la réaction émouvante d'un bébé qui entend la voix de sa mère pour la première fois grâce à un appareil auditif. Nous sommes toutes et tous exposés et sensibles à ces contenus.
Ces contenus capables de nous faire sourire sont pleinement ancrés dans la culture populaire. Elle se traduit notamment par le succès de comptes sur les réseaux sociaux qui partagent des contenus bon enfant, ou des traitements vidéo originaux à l’image du créateur JunsKitchen, qui filme ses recettes de cuisine avec ses chats pour ses 5,3 millions d'abonné·es.
Une approche qui trouve un écho tout particulier dans notre époque.
Pourquoi les internautes recherchent-ils des contenus réconfortants ?
Face à l'ampleur des défis politiques, écologiques et économiques, mettre en avant de petits riens peut contribuer à garder une vision un peu plus positive du monde. Une étude internationale récente menée par Kantar rapporte en effet que sept personnes sur dix affirment essayer d'être optimistes malgré l'incertitude économique permanente dans le monde. Et ces types de contenus peuvent contribuer à créer cette respiration. Comme le rapporte Earnest Pettie, spécialiste de la culture et des tendances YouTube "les gens recherchent des contenus pour leur bien-être personnel, pour les aider à booster leur humeur".
Nancy Puccinelli, professeure de marketing à l'université de Bath et chargée de recherche à l'université d'Oxford explique que ces contenus constituent une forme d'évasion : "Je m'oblige à me tenir au courant des principales actualités, aussi négatives soient-elles, car il est important de s'informer. Mais je constate généralement qu'en essayant de me détendre le soir, je suis aspirée par un flux Google qui m'explique comment réutiliser mon marc de café pour fertiliser ma pelouse ou qu’un restaurant vient d’ouvrir à proximité de chez moi. Ces informations ne sont peut-être pas "importantes", mais je préfère néanmoins ce contenu léger et agréable à lire”.
Professeur de marketing à la London School of Economics, Amitav Chakravarti explique que "les gens se sentent plus calmes, plus détendus et même plus généreux et altruistes lorsqu'ils accèdent à des contenus bons pour le moral".
Au-delà des interprétations et des expériences personnelles, il existe une réalité scientifique. Lorsque nous visionnons ce type de contenus, le corps libère de la dopamine, la molécule associée à la motivation, à la satisfaction et au plaisir, ce qui pousse l'être humain à rechercher ces expériences positives.
Amitav Chakravarti, expert en psychologie de la consommation, affirme que cette quête de contenus réconfortants s'apparente à la quête d'appartenance propre à l'être humain. En créant un lien émotionnel, ces contenus répondent à ce besoin.
Certaines marques ont saisi l’opportunité, en intégrant cet esprit feel good à leurs campagnes.
C’est par exemple le cas de la campagne Worldwide Hide du chocolatier britannique Cadbury qui s'appuie sur l'altruisme de ses client·es en les invitant à "cacher" un œuf de Pâques virtuel pour un proche sur Google Maps.
Dans un autre secteur, la marque d'aliments pour chats Sheba a créé une campagne publicitaire touchante axée sur la sauvegarde d'un récif corallien. Cette campagne montrait de belles images de la faune et de la flore sous-marine, et exploitait la monétisation YouTube afin de reverser les bénéfices à la sauvegarde du récif corallien.
En Italie, WWF a diffusé une campagne YouTube pour encourager les internautes à "adopter une espèce". À l'aide d'un puissant récit créatif, l'ONG a tiré pleinement parti de son budget limité.
Nancy Puccinelli mène de nombreuses études sur les émotions et l’humeur dans le domaine de la consommation. Elle nous explique que “à la télévision, 90 à 95 % de la publicité reste positive et optimiste”. Une réalité qu’elle explique par un principe de base : “si les gens se sentent bien devant une publicité, ils adoptent une attitude considérablement plus positive vis-à-vis de presque tout ce que vous leur montrez. Toutes choses égales par ailleurs, si une marque me fait du bien, je serai plus enclin·e à l'acheter.”
Un intérêt stratégique pour les marques
Certaines marques exploitent ce type de contenu pour toucher de nouvelles générations de consommateurs et consommatrices. En effet, les contenus feel good sont particulièrement populaires auprès de la génération Z comme le rapporte une enquête Ipsos de 2022 expliquant que le contenu apaisant comme les vidéos d’ASMR est particulièrement consommé par cette tranche de la population.
Ce type de contenu peut également permettre de promouvoir efficacement des produits plus fonctionnels, à l’image de la banque britannique Halifax. Pour promouvoir ses services financiers, la marque a récemment diffusé une campagne mettant l'accent sur des relations humaines positives autour de scènes de vie quotidienne.
Comment les spécialistes marketing peuvent-ils utiliser ce type de contenu dans leurs campagnes
À l’instar des créatrices et créateurs populaires, les spécialistes du marketing peuvent exploiter certains éléments pour apporter une touche feel good à leur contenu sans pour autant trop réfléchir à leurs discours. Car comme l’explique Amitav Chakravarti "ce sont les choses simples, inattendues et sources d'émotions qui marquent les esprits plutôt que, par exemple, la recherche d’humour à tout prix".
D'après Nancy Puccinelli, "il arrive que personne ne se souvienne des produits promus par certaines des publicités les plus mémorables. Une bonne publicité ne permet pas nécessairement de vendre un produit."
Earnest Pettie affirme que les contenus comme les histoires personnelles, ou les élans de solidarité envers des personnes dans le besoin, suscitent également l'engagement des internautes. Il explique ainsi que "les récits qui touchent les personnes comportent souvent un aspect altruiste. À titre d'exemple, le caractère philanthrope du contenu de MrBeast explique en grande partie la popularité de sa chaîne".
L'esthétique du contenu ne doit pas non plus être négligée. Selon le spécialiste de la culture et des tendances YouTube, "les contenus feel good n'ont pas forcément besoin d'un récit structuré. En tant qu’internaute, on recherche des contenus apaisants, comme ces vidéos dans lesquelles des personnes nettoient des objets en profondeur ou celles qui mettent en scène un mode de vie plus simple au contact de la nature. Une forme d'évasion qui est étrangement satisfaisante".
Ces contenus jouent un rôle apaisant et permettent aux personnes d'oublier le stress de la vie quotidienne. Et les audiences plébiscitent ce type de contenus comme en témoigne le succès de la chaîne Oddly Satisfying “la chaîne n°1 pour un contenu étrangement satisfaisant et relaxant”, qui compte plus de deux millions d'abonné·es.
Mais pour ne pas sonner faux, les marques doivent avoir recours à un facteur clé : l'authenticité, affirme Amitav Chakravarti. Selon lui, "la frontière entre une idée authentique et une idée alambiquée est très mince”.
L'authenticité est le Graal des responsables marketing, affirme Nancy Puccinelli. Selon elle, "les client·es sont dans l'ensemble devenu·es si méfiant·es qu'il est de plus en plus difficile pour les marques d'être perçues comme authentiques. On les soupçonne de manquer de conscience écologique ou de tenter de jouer sur la corde sensible avec cynisme, dans une course à la rentabilité. Ces soupçons ont, par exemple, conduit de nombreux créateurs et créatrices de subir le rejet de leur plus fidèles fans en apparaissant comme motivé·es par la rentabilité".
Les marques qui réussissent à créer un marketing réellement soucieux du bien-être de leurs audiences peuvent permettre à leurs client·es de porter un regard positif sur eux-mêmes, sur la marque et sur le monde en général. Un modèle de marketing vertueux.