Alors que les Cannes Lions ont débuté ce lundi 20 juin et que le Festival de Cannes a pris fin le 28 mai dernier ; l’heure est à la célébration de la création. Or depuis quelques années, celle-ci se meut pour mieux s’adapter aux enjeux de notre époque : inclusion et représentation. Pour y répondre, la nouvelle génération de créateurs et créatrices en ligne casse les codes de la création pour mieux les redéfinir. Décryptage.
La nouvelle génération érige la liberté de ton en mot d’ordre.
Quand il quitte TF1 pour créer le Studio Bagel en 2012, Guillaume Lacroix le fait avec la conviction qu’il est temps de “donner aux jeunes talents les moyens professionnels d’écrire et réaliser”. Il pose ainsi une pierre de taille à l’édifice de la création 2.0, soutenue par la pépinière de talents qu’est YouTube. Dix ans après ses débuts, la chaîne, depuis rachetée par Canal+, cumule les presque 3,5 millions d’abonné·es. Fort de cette expérience et alors convaincu de l’impact de la création en ligne, il crée le pure player Brut. Le média aux 550 millions de vues sur YouTube rassemble aujourd’hui des talents de tous horizons, radicalement libres de traiter des sujets qui leur tiennent à cœur, de la façon dont ils le souhaitent, de l’écologie au féminisme en passant par la géopolitique. Un fonctionnement qui lui permet de se démarquer et de parler à des audiences jusque-là laissées de côté.
Cette liberté de ton est aussi ce qui fait le succès du format "Entre Mecs" de Ben Névert, créateur de contenus aux 36 millions de vues sur YouTube. La genèse de ce format ? Le manque de représentation : “À l’époque, la plupart des messages d’hommes que je voyais sur la plateforme ne me correspondaient pas. Et je me suis dit, c’est sûr qu’avec toutes les discussions que j’ai avec mes potes, on peut montrer une nouvelle masculinité”. Alors les invité·es se multiplient pour venir raconter leur histoire et aborder des sujets.
Celui qui travaillait avant en agence de communication peut désormais fièrement affirmer : “Ma machine éditoriale, c’est moi”. En prononçant cette phrase, il met le doigt sur le facteur majeur de la révolution créative qui se déroule en ligne. Sur internet, plus besoin de convaincre les responsables de production avant de pouvoir diffuser son message. Et qui dit absence de “gatekeepers” dit créativité accessible à toutes et tous. Une expression directe qui change la donne et signe l’avènement d’un monde où l’authenticité de parole fait loi.
Ce n’est pas Sally qui lui donnerait tort. Fille d’une mère marocaine et d’un père camerounais, la créatrice au demi-million d’abonné·es sur YouTube créé en 2021 Motherland, une série de vidéos documentaires à travers laquelle elle “retourne découvrir l’Afrique, le continent des origines de [ses] parents”. Avec nuance, finesse, et créativité, elle entreprend ainsi de casser les clichés d’une géographie souvent réduite à des images misérabilistes. Une démarche sincère qui porte ses fruits : en avril dernier, le troisième épisode est produit avec Brut et diffusé en avant-première au Gaumont-Pathé des Champs Elysées ; la séance fait salle comble en moins de dix minutes.
Et si on apprenait à leur faire confiance ?
Tandis que 72% des Français·es pensent qu’il est important que les marques fassent preuve de diversité dans leur communication, une fois que celles-ci s’engagent, ils sont presque autant à suspecter l’opportunisme1. Face à ce paradoxe, une solution simple se dessine alors : donner la caméra aux personnes concernées par les sujets traités.
Ben Névert raconte : “Le dénominateur commun des opérations réussies, c’est qu'on nous laisse carte blanche. En fait, ces marques nous disent ‘OK, t'es un média, tu sais comment parler à ta cible, ta cible, c'est notre cible aussi, on ne va pas faire les marionnettistes, on te laisse faire’”. Dès lors, la magie opère : un site hors service à cause des visites trop nombreuses et des dizaines de milliers d’euros de ventes pour Horace ont suivi la publication de l’épisode d’Entre Mecs dédié aux cosmétiques.
Dans ce type d’opérations, les marques comme les créateurs et créatrices engagent leur crédibilité, mais bien menées, elles assurent une résonance qualifiée auprès des audiences. Et ce pour le meilleur : Sally raconte la réception particulièrement positive d’une vidéo en collaboration avec Amnesty International : “J’ai pris la parole sur des sujets qui me tenaient à cœur, c’était naturel donc ma communauté l’a bien reçu. Le but était de faire signer une pétition : la mobilisation a été énorme”. Si l’opération a fonctionné selon elle, c’est “parce que c’était organique”. Un adjectif qui résonne comme une ligne de conduite.
Une démarche à impact et porteuse de progrès.
L’impact sociétal de la création n’est dès lors plus à démontrer ; elle informe, mobilise, et fait évoluer les imaginaires. Ben Névert, par exemple, ne compte plus les centaines de messages qu’il reçoit pour l’informer des coming-outs et des réconciliations père-fils qu’il a inspirées grâce à sa chaîne. C’est peut-être là la clé d’une communication inclusive réussie : des opérations dont on laisse les rênes à des créateurs et créatrices concerné·es par leur sujet. Une chose est sûre, nous pouvons compter sur la génération YouTube pour mener le progrès en matière d’inclusion dans la création : en vivant selon la devise “tous créateurs, toutes créatrices”, elle multiplie naturellement les voix et les représentations. Un virage culturel qui n’en est qu’à ses débuts et auquel les marques peuvent prendre part… en donnant la caméra.