Cet article est issu du supplément au magazine Society (paru le 17 décembre 2020), avec qui nous nous sommes associés pour anticiper les tendances 2021 en matière de contenus sur YouTube.
Magali Payen a lancé en novembre 2018 la chaîne OnEstPrêt. Le principe: des YouTubeurs à succès relaient, sous forme de vidéos, des conseils et gestes du quotidien en faveur du climat et de la biodiversité. La même année, le mouvement s’est illustré en se mobilisant lors de “L’Affaire du siècle”. Cette campagne, visant à poursuivre l’État en justice pour son inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique, avait recueilli plus de deux millions de signatures en moins d’un mois. Entretien.
OnEstPrêt, c’est quoi ? Un mouvement, un collectif, un média ?
C’est un mouvement qui fédère des créateurs, pour ne pas dire des YouTubeurs et instagrameurs. Notre rôle consiste à les coordonner entre eux, mais aussi avec des experts en amont et des faiseurs en aval, afin de mobiliser au maximum la jeunesse sur des sujets de société et d’environnement. En quelques mots, notre mission est de faire advenir un nouveau monde qui mette en son cœur le vivant, et beaucoup plus de justice sociale et de démocratie.
Pourquoi utiliser YouTube et les réseaux sociaux, et pas d’autres canaux ?
Quand j’étais chez Canal+, en 2013, j’ai été responsable de l’intégration de Studio Bagel dans la chaîne. Je me suis aussi occupée du développement digital du groupe. Et aujourd’hui, si on veut toucher la jeunesse, on est obligés de passer par les réseaux sociaux. Il y avait plein de YouTubeurs qui étaient écolos ou vegans mais qui n’osaient pas en parler à leur communauté. OnEstPrêt, grâce à la force du collectif, leur a permis de faire leur coming out écolo. Je me rappelle avoir organisé une soirée chez YouTube, avec les YouTubeurs Max Bird et EnjoyPhoenix, Valérie Masson-Delmotte, qui a orchestré le rapport du GIEC, Gilles Bœuf et Antoine Cadi, des experts de la biodiversité. Ça avait cartonné. Les experts disaient que pour faire passer leurs messages, ils avaient besoin des YouTubeurs. Ces derniers ont une énorme responsabilité parce qu’ils sont les nouveaux role models. Parfois, ils ont plus d’influence que l’école ou les profs. Et que les politiques, ça c’est sûr. Mais peut-être moins que les footballeurs ou les rappeurs. En tout cas, ils ont un réel pouvoir, et c’est important qu’ils en soient conscients et qu’ils en fassent le meilleur usage.
"Les experts disaient que pour faire passer leurs messages, ils avaient besoin des YouTubeurs."
Et l’humour aide-t-il à faire passer un message?
L’humour est vraiment primordial. On pense qu’il faut parler de ces sujets de manière non culpabilisante, joyeuse. Parce que le discours habituel de l’écologie depuis plus de 30 ans, c’est beaucoup de colère, de culpabilité et de culpabilisation. On essaie de sortir de ça. On part du constat que personne n’est parfait et que ça ne sert à rien de chercher une pureté absolue.
Vous ciblez tout le monde ou particulièrement les jeunes ?
On cible les 15-35 ans et on a remarqué qu’il y avait un effet de pédagogie inversée : ils en parlent à leurs parents, à leurs profs, et on touche finalement toutes les générations. On ne s’est pas adressés à la presse au départ, mais avec ‘L’Affaire du siècle’, qui a complètement explosé, on a attiré l’attention des médias traditionnels. Et on a ainsi réussi à toucher un plus large public.
Vous parlez des générations anciennes. Finalement, le bon sens qui transparaît dans vos vidéos, c’était naturel pour eux…
Nos grands-parents avaient un mode de vie beaucoup plus sobre, mais eux ne l’avaient pas choisi. Tandis que nous, à l’inverse, on se pose la question de quel mode de vie on veut réellement avoir. On a encore beaucoup de possibilités, même si c’est un peu artificiel parce que la surconsommation n’est pas quelque chose qui va durer très longtemps. Un des messages d’OnEstPrêt, c’est qu’on peut être heureux en vivant beaucoup plus simplement et, surtout, en se connectant à la nature, aux autres et à nous-mêmes. Il y a vraiment trois modes d’action. Le premier est individuel. Et ce ne sont pas que les ‘écogestes’, mais le fait de changer la manière de faire société. Il y a le mode d’action industriel: comment on va interagir avec les entreprises pour les faire évoluer. Enfin, il y a le niveau politique. Et c’est ce qu’on a fait avec ‘L’Affaire du siècle’. Le Conseil d’État vient de donner trois mois au gouvernement pour justifier l’efficacité de sa politique en matière climatique, c’est une première victoire. Et on sait que dans ce domaine, les victoires ne sont quand même pas si faciles à obtenir.
Propos rapportés par Thibault Barle