A rebours de l’image d’une jeunesse désintéressée, les créateurs YouTube proposent une nouvelle manière d’appréhender les enjeux de société. Comment redéfinissent-ils les codes de l’engagement citoyen ? Analyse, aux côtés des principaux intéressés.
A l’occasion d’un moment d'échange organisé par YouTube sur le thème “Jeunes générations : plus engagées, mais plus comme avant”, le créateur et journaliste Gaspard G, le média Le Crayon et Caroline Baldeyrou, en charge du développement numérique de Arte, sont venus exposer leur manière de faire comprendre la vie politique et les sujets de société différemment à la jeunesse par le biais de YouTube.
Une génération qui réinvente les manières de s’engager
La nouvelle génération de votant·es semble délaisser la chose politique. Traversant de multiples crises (économique, sanitaire ou écologique), les 18-24 ans sont souvent présenté·es comme désabusé·es face à l’offre électorale. Et cela se reflète dans les taux d'abstention : ils sont 42% à ne pas s’être rendus aux urnes lors du premier tour des élections présidentielles 2022.
Pourtant, cette génération - la génération GRETA - c’est cette envie de “faire”, “agir”, plus que “voter” et “élire” des représentant·es. C’est une génération qui considère que le social est l'affaire des citoyen·es1. Une jeunesse qui ne se retrouve pas dans les voies d’engagement traditionnelles et se saisit des plateformes en ligne, comme YouTube, pour créer, partager et agir différemment.
Dix-sept ans après sa création, YouTube est devenue une plateforme d’expression à part entière pour la jeunesse, où elle s’exprime avec ses codes et ses nouveaux formats. On y observe une jeunesse plus engagée que jamais, qui n’hésite pas à redéfinir les codes de l’engagement, à les revisiter grâce à une pluralité des modes d’expression.
“Pourquoi ne puis-je pas débattre de politique avec mes amies ?” C’était, en substance, la question que se posait Sixtine Moullé-Berteaux, cofondatrice de la chaîne YouTube et média Le Crayon. “Je trouvais si dommage que mes professeur·es soient les seul·es avec qui je pouvais débattre de politique. J’ai pris conscience qu’il fallait créer un média par les jeunes et pour les jeunes, neutre et apartisan (...). Pourquoi sur YouTube ? Parce que l’on peut tout y faire et tout y voir.”
“Je m’intéresse à l’actualité et j’ai envie d’en parler en ligne, en faisant le pari que l’on peut faire vivre l’actualité et la politique de manière intelligente”, constate également Gaspard G, créateur âgé de 24 ans de la chaîne d’analyse politique et sociétale éponyme, et de la société Intello.
On observe sur YouTube une jeunesse plus engagée que jamais, qui n’hésite pas à redéfinir les codes de l’engagement, à les revisiter grâce à une pluralité des modes d’expression.
De nouveaux formats et du long
La chaîne de télévision Arte, pour sa part, vient de dépasser la barre des trente ans. Pourtant, elle est devenue un acteur incontournable de la vie sur YouTube. Arte réunit en effet cinquante chaînes sur YouTube et cumule plus de 2,3 millions d’abonné·es sur sa seule chaîne principale. Comment expliquer ce succès ?
“Nous voulions nous adapter à différentes communautés et leurs usages, avec des offres éditoriales indépendantes. (...) Sur YouTube, nous avons été ambitieux tout de suite car c’est une nouvelle manière de consommer des programmes. Ce n’était pas pour nous un risque de cannibalisation, mais une complémentarité”, explique Caroline Baldeyrou. Ainsi, Arte n’a pas hésité à publier sur YouTube des formats très longs, mais aussi à produire des contenus originaux, réaliser des enquêtes auprès des internautes et travailler avec des talents de YouTube et du web, en particulier sur la chaîne de vulgarisation scientifique Le Vortex, où l’on a pu retrouver des personnalités comme Linguisticae ou Angle Droit.
Une nouvelle manière d’aborder l’information pour répondre à la diversité des communautés et la demande de pluralité sur Internet. Le format “Le Ring” de la chaîne Le Crayon, qui met en scène un débat de politique long format comme un combat de boxe opposant des créateurs et créatrices à des hommes et femmes politiques, parle à toutes les générations, en particulier les jeunes. Long mais rythmé, regardable en plusieurs ou une seule fois, c’est le type de format que l’on trouve exclusivement sur YouTube. On s’adresse à une génération dont le taux de concentration est, dit-on, de sept secondes en lui proposant des débats qui durent presque une heure. Pourtant, on a un fort taux d’engagement sur ces débats”, explique Sixtine Moullé-Berteaux.
Et de nouveaux business models
Une jeunesse curieuse et intéressée qui ne délaisse pas les longs formats, mais cherche des manières originales et dynamiques d’aborder les sujets de société qui la touchent.
Pour Gaspard G, les groupes médias de demain “seront faits d’une série de visages et plus seulement de logos” : le succès de ces nouvelles chaînes politiques va ainsi de pair avec la professionnalisation des créateurs. La société Intello, fondée par Gaspard G, emploie ainsi sept personnes à temps plein qui lui permettent de travailler en profondeur les contenus sur YouTube, comme le format de 32 minutes autour des candidats à la présidentielle “L’Histoire de…” publié sur sa chaîne. Intello produit aussi des contenus pour les marques, comme Engie ou BPIFrance, afin de profiter du savoir-faire et de la connaissance des créateurs YouTube.
Cette professionnalisation des créateurs et créatrices passe aussi par la création de nouveaux business models. Gaspard G produit des contenus et accompagne des marques dans leur présence digitale, tout comme Le Crayon. La chaîne emploie douze personnes. “Nous sommes devenu·es des expert·es dans la stratégie digitale, l’expérience utilisateur et la production vidéo en ligne. Comme nous avons dû tout tester pour faire fonctionner nos chaînes, nous avons développé cette expertise”, explique Sixtine Moullé-Berteaux.
Sur YouTube, ce sont tant la diversité des formats - courts ou longs, ludiques ou plus sérieux - que la pluralité des opinions qui permettent de faire apparaître de nouveaux codes et d’engager chacun au cœur des débats de société.
Alors finalement, sous l'impulsion de ces "jeunesses" et si nous étions en train de vivre un nouveau pacte de réconciliation ? De nouveaux codes de l’engagement qui iront bien au-delà des “cibles jeune".