« La fin de l’expérience ? » : voilà un titre assez provocateur pour la première Rencontre IFMxGoogle* le mardi 28 février 2017 à Paris. Son objectif : bousculer notre vision de la révolution digitale et de son impact sur l’expérience physique et online dans le secteur de la mode.
Depuis un an ou deux, le marketing ne parle que de « luxe expérientiel », et il est devenu courant de constater que l’usage et l’expérience (voyages, gastronomie, bien-être, moments uniques…) sont des tendances qui pourraient progressivement reléguer au second plan la possession d’un objet de mode ou de luxe. Pourtant, « le produit compte plus que l’expérience chez les 16-25 ans, qui jugent que l’expérience est un mot un peu suspect », explique Nadège Winter, co-fondatrice du magazine Twenty, au cours du débat.
Expérience authentique vs immersion marketing
Si l’expérience sensible (« se voir, se rencontrer, toucher, sentir ») est très appréciée par les jeunes, ces derniers sont assez sceptiques à l’égard de toutes les ficelles du marketing. « Vivre une expérience, j’y crois pas trop »1.
Vérité, authenticité, sincérité sont des impératifs que les marques doivent avoir en tête si elles veulent réussir à parler aux jeunes d’aujourd’hui (Nadège Winter). L’histoire, l’artisanat, le savoir-faire sont des valeurs qui « prennent » auprès des jeunes, note Delphine de Canecaude, co-fondatrice du magazine Twenty. À l’inverse, les marques auraient tort de « multiplier les propositions d’immersion à tort et à travers », comme le rappelle Édouard Schwebel, industry manager retail/fashion, Google France. Deux types d’expérience ont de l’avenir dans les réseaux de distribution de la mode et du luxe : la première (dite expérience liquide) permettra de simplifier la vie du consommateur. Chez Décathlon, un outil de réalité virtuelle permet ainsi de déplier une tente et de la tester facilement en magasin. La seconde (dite expérience sublime) offrira au consommateur un accès à des moments inoubliables pour lui.
« Il faut créer des événements forts en boutiques comme des concerts live ou des lancements exclusifs, créer le buzz », indique Régis Pennel, fondateur et dirigeant de L’Exception, qui constate « un attrait de la boutique assez fort sur les jeunes de 16 à 25 ans, par rapport au web ». Un magasin comme L’Exception en est convaincu : les clients ont besoin d’un suivi personnel, avec de vrais conseillers de vente qui peuvent être beaucoup plus efficaces que certains outils d’intelligence artificielle comme les « chatbots ». Dans le même temps, les cabines d'essayage de L’Exception possèdent un écran connecté qui permet d’enrichir considérablement l’expérience du client. Tous ces éléments font partie d’une réflexion de fond sur les éléments de valeur ajoutée qu’un magasin peut avoir par rapport au web, afin d’éviter que la boutique devienne un simple showroom.
« Dé-ringardisons les événements en boutiques, cassons les cadres du luxe », explique Régis Pennel en donnant l’exemple réussi d’Opening Ceremony. Faut-il pour autant transformer le magasin en « espace d’immersion » bourré de technologie et aussi ludique que possible ? « La réalité virtuelle ne parle pas aux jeunes, qui préfèrent le toucher et l’odorat », poursuit Nadège Winter, qui ajoute que « pour atteindre les jeunes, il faut surtout leur proposer une expérience enrichissante et qui laisse des traces... ».
Réinventer l’expérience grâce au digital
Benjamin Simmenauer, professeur IFM, invite les marques de mode et de luxe à élargir leur compréhension de la notion d’« expérience » : celle-ci, dit-il, doit être comprise « bien au-delà de l’expérience client et du parcours d’achat », comme une mise à l’épreuve ou encore une « révélation » de nature esthétique ou même mystique. Elle est « une porte ouverte sur le réel, un accès à une réalité non-perçue jusque-là ».
Un détour par les sciences permet de bien comprendre les enjeux du débat : au moment où les supports de l’expérimentation deviennent digitaux, les expériences se font désormais sur des « mondes alternatifs ». De plus en plus, les simulations digitales remplacent les expériences scientifiques classiques. En neurosciences, un projet comme « Human Brain Project » offre une reproduction digitale du cerveau humain et sert de support à des expériences d’un nouveau type.
Paradoxalement, « le digital, relayé par des réseaux d’images démultipliées à l’infini, replace l’expérience subjective au centre du réel ». L’expérience, dans l’univers digital, c’est du vécu qu’on partage sur les réseaux sociaux : « avec le digital, on a accès à toutes les expériences, hors de toute inscription spatio-temporelle. La virtualisation de l’expérience lui permet d’être éternelle et reproductible à l’infini avec une qualité constante. Là, comme dans l’hypercube du film Interstellar, qui permet d’avoir un accès instantané et immédiat à toutes les expériences possibles, à l’état pur » (Benjamin Simmenauer).