Longtemps nous avons assisté à une course au catalogue, notamment poussée par les pure players ou les marketplaces. Mais l’abondance de produits a fini par décontenancer les consommateurs. Ils ne savent plus où donner de la tête, tant l’offre est pléthorique. Comment marques et distributeurs peuvent-ils mieux calibrer leur offre pour mieux satisfaire les consommateurs ? Faut-il épargner le consommateur de cette frustration et l’aider dans ses choix ? Intelligence artificielle et algorithmes sont-ils la solution pour automatiser ce process ? Pistes de réflexion dans un édito de Lucas Delattre, professeur à l’IFM, suite à la 2ème rencontre IFMxGoogle en juin 2017.
L’économie digitale, caractérisée par un déluge d’informations et de données, place l’individu devant une difficulté permanente : comment savoir ce qu’on veut et comment choisir ? Le choix est la « preuve qu’il y a quelque chose de divin en l’homme, à savoir le libre-arbitre », explique Benjamin Simmenauer, professeur à l’IFM, en référence à Descartes. Mais paradoxalement, le « bon choix » est peut-être une illusion. Car, de ce point de vue, « l’homme est plus proche de l’âne que de Dieu. Face à l’hyperchoix, on se retrouve comme un âne de Buridan. »
Sur les plateformes e-commerce, l’hyperchoix peut rallonger à l’infini le temps de la décision d’achat et désorienter le consommateur.
Complexité du « consensus » en matière de mode
La façon dont se définit le goût dominant est plus que jamais stratégique tant il a un impact sur notre capacité ou volonté de choisir. Comment se forme le « consensus des goûts » ? Comment se calcule ce qui sera portable et validé par le groupe ? Comment anticiper la « préférence des autres » ? On trouve une première réponse chez l’économiste John Maynard Keynes, qui compare les placements boursiers à des concours de beauté : « ce n’est pas tant la beauté de chaque concurrente qui compte que le consensus général autour de la capacité de telle ou telle concurrente à obtenir le plus de suffrages. On gagne parce que la majorité pense qu’on est la plus à même de gagner, pas parce qu’on est la plus belle. »
En 2017, ces phénomènes sont amplifiés par la révolution digitale. Aujourd’hui, explique Benjamin Simmenauer, la « portabilité vestimentaire » est une équation à plusieurs inconnues, alors que « les normes du goût sont de plus en plus éclatées et qu’il règne une grande incertitude sur la notion de tendance ».
La curation au service du choix
Comment rassurer les consommateurs sur l’acceptabilité et la portabilité d’un vêtement ou d’un accessoire ? Des efforts de plus en plus grands sont déployés pour guider ces choix, qu’il s’agisse de contenus éditoriaux sur les plateformes e-commerce, de placement de produits dans les séries télévisées ou de pré-sélection de produits sous la forme de « boîtes » livrées sur abonnement. Le succès des « box » du type Birchbox montre que beaucoup de consommateurs sont prêts à déléguer le choix des produits qu’ils achètent à un tiers supposé « compétent » et « bien informé ».
« Curation pointue, forte sélection des produits, facilités de communication entre les membres de la communauté » figurent parmi les axes d’action prioritaires des sites e-commerce les plus performants, note Odile Szabo, Chief Marketing Officer de Vestiaire Collective. « La plus-value éditoriale est un atout essentiel pour un site comme Birchbox », ajoute Mathilde Lacombe, co-fondatrice et Brand Director de Birchbox France.
Aujourd’hui, explique Alicia Birr, planneur stratégique luxe et mode chez Google, « les algorithmes commencent à comprendre ce qu’est le style grâce au machine learning ». « Avec 3 milliards d'images échangées chaque jour sur les réseaux sociaux, on peut quantifier les tendances (…). L’intelligence artificielle peut apporter un appui à la sélection et au choix des couleurs, des motifs, des matières, etc. », souligne Tony Pinville, co-fondateur et CEO de Heuritech, startup développant des outils d’intelligence artificielle pour réindexer automatiquement, intelligemment et constamment les images des catalogues de mode afin d’améliorer leurs référencements, ainsi qu’analyser et anticiper des tendances à travers l’écoute des réseaux sociaux. (Heuritech a remporté le LVMH Innovation Award 2017).
À la recherche de l’équilibre entre intelligence humaine et artificielle
Quelle place respective pour l’humain et pour la machine ? « Les algorithmes ne remplaceront pas la capacité d’intuition des cabinets de tendance », indique Alicia Birr. La vraie intelligence consiste à associer des algorithmes à l’esprit humain. Chez Vestiaire Collective, « des stylistes s’appuient sur des algorithmes pour renouveler en permanence l’offre de notre homepage », illustre Odile Szabo. « Les stylistes corrigent les machines, ce qui permet un bon équilibrev». Et Mathilde Lacombe de poursuivre : « Human learning et machine learning sont aussi importants l’un que l’autre pour Birchbox. » Ou encore Tony Pinville : « L'intelligence artificielle ne remplace pas l’éditorial, mais peut permettre de gagner en efficacité pour avoir plus de temps à y consacrer. »
La voix est en train de remplacer le contact avec les machines. Aux États-Unis, la moitié des requêtes sur Google se fera bientôt avec la voix (la proportion est aujourd’hui de 20% sur Android et à travers l’application Google), comme l’indique Cécile Pruvost, Strategic Partner Development Manager chez Google. Dans quelques mois, on pourra faire tout ce qu’on veut (« get things done ») dans une conversation vivante et spontanée avec un assistant personnel comme ceux qui apparaissent sur le marché (ex : Google Home vient d’être lancé en France).
On va donc assister à l’émergence de nouveaux comportements liés à l’utilisation de la voix. Les marques devront à nouveau s’adapter, car demain il sera peut-être commun de demander : « Ok Google, dis-moi dans quelle robe je serai la plus belle ? »