90% des responsables marketing déclarent que la donnée propriétaire est un élément central de leur stratégie. Or, seulement 1% d’entre eux utilisent cette donnée pour améliorer leur expérience client·e1. Comment expliquer ce paradoxe ? A l’occasion de la session 2021 de Vivatech, nous avons demandé à Sandrine Reinert, directrice générale de Jellyfish France, Hervé Brucker, directeur marketing, communication et expérience client chez Orange Bank et Olivier Le Gallo, VP marketing, sales & Data du Groupe SeLoger, de nous éclairer sur leurs usages de la donnée propriétaire.
Comment met-on la donnée au service de l’expérience client·e ?
Hervé : Chez Orange Bank, nous avons pour objectif de démocratiser l’accès à la banque mobile en proposant une expérience client unique, qui repose sur une application de dernière génération, des innovations et des services premiums. Mon équipe marketing digital & CRM, s’appuie sur la donnée pour mieux cibler nos prospects à valeur, offrir le parcours le plus personnalisé possible et réduire les coûts d’acquisition. Pour y arriver, nous sommes passés par plusieurs étapes. D’abord, j’ai renforcé les équipes CRM Digital avec des talents et des expert·es et internalisé le traffic management et le pilotage des performances. Nous avons ensuite choisi les meilleurs outils pour collecter, agréger et piloter la donnée, notamment les plateformes marketing de Google (Google Marketing Platform). Ces outils nous ont par exemple permis de consolider les données de nos utilisateurs web et app avec nos données CRM. Grâce à la connexion de Google Analytics à nos plateformes d’achat média, nous activons la donnée et pouvons développer de nouveaux cas d’usages. Enfin, nous nous sommes fait accompagner de partenaires experts comme Artefact ou Jellyfish lors des phases importantes de déploiement.
Données de vente, de marge, KPIs : comment générer du business grâce aux données ?
Olivier : Notre ambition chez SeLoger est de simplifier, à travers une plateforme digitale, l'expérience de recherche et de vente immobilière entre les Français·es et les agent·es immobiliers. Et pour réaliser cela, notre mission est de générer le meilleur “matching” entre un·e utilisateur/utilisatrice et un bien immobilier. La donnée a un rôle central à cet égard et nous avons la chance de disposer d’énormément d’informations sur nos client·es (lieux de recherche, nombre de pièces, etc.). C’est aussi le cas pour l’agent·e qui décrit son bien (photos, lieux, environnement, etc.). Grâce à cette donnée, nous optimisons les parcours en améliorant à chaque visite l’expérience, en développant des moteurs de calcul précis des prix des biens à vendre, en poussant des recommandations de biens à acheter ou louer. Ces moteurs sont basés sur des algorithmes qui contribuent à améliorer ce matching ; par exemple, aujourd’hui, une annonce recommandée par nos algorithmes produit 35% de leads en plus qu’une annonce sélectionnée naturellement.
En parallèle, étant donné que nous avons un revenu qui est basé sur un abonnement à prix fixe payé par l’agent·e immobilier mais que le nombre de leads délivré est relativement variable, nous avons développé un projet nommé “delivery Index” (DI) qui vise à calculer un revenu par lead démoyennisé et que nous utilisons notamment pour ajuster nos investissements d’achat media. La vraie valeur de la donnée provient de sa capacité à nous permettre de mieux agir ou mieux décider, au plus près de nos clients et de notre compte de résultat.
La vraie valeur de la donnée propriétaire provient de sa capacité à nous permettre de mieux agir ou mieux décider.
Sandrine, vous avez récemment déclaré que tous les acteurs de la chaîne digitale devraient "cesser de vouloir amasser toujours plus de données, pour [se] concentrer sur celles qui apportent réellement de la valeur pour les marques et in fine pour l'utilisateur”. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Sandrine : Pendant longtemps, le Graal du digital, ou en tout cas l’objectif, était de récolter le plus de données possible en se disant que plus on avait de données, plus on pourrait prendre de bonnes décisions. C’était sans compter deux choses : d’une part, la fatigue, l’irritation générées chez les utilisateurs et utilisatrices qui sont de plus en plus regardant·es et exigeant·es sur ces sujets de collecte de données. Et puis aussi l'incapacité d'exploiter de manière totalement exhaustive cette masse de données. Toutes les données ne sont pas bonnes à exploiter, elles ne créent pas toutes de la valeur. Une étude de McKinsey d’avril 20202 montre que les utilisateurs et utilisatrices font plus confiance aux entreprises qui demandent “moins de données”. Ce qu’on cherche à faire chez Jellyfish, c’est prendre un peu de recul et se concentrer uniquement sur la donnée qu’on veut collecter car c’est celle qui va être déterminante pour le business. C’est le business qui doit guider la prise de décision, et non pas la technologie ou ce que nous permettent les plateformes. Aujourd’hui, on est très dépendant·es des algorithmes dans les prises de décisions, du fait de notre usage de plus en plus fort de la technologie. Or, ces algorithmes sont construits pour fonctionner et modéliser sur des plus petits data sets : dès lors qu’on leur fournit la bonne donnée, ils sauront prédire. En clair, ce n’est pas une question de quantité, et de collecter le plus de données possible, mais de collecter la donnée indispensable à la bonne prise de décision business, pertinente pour nourrir les algorithmes, et que celle ci soit collectée de la bonne façon avec les standards de sécurité et de privacy que les consommateurs et consommatrices attendent et que les marques doivent s’imposer.
Quelles opportunités identifiez-vous grâce à la donnée propriétaire ?
Olivier : Nous sommes dans une économie de plateforme où nos client·es s’attendent à obtenir de plus en plus d'efficacité et d’avoir de moins en moins d'efforts à fournir. Cela passera nécessairement par un usage renforcé de la donnée. Nous avons la chance d’être dans un environnement où il est naturel et légitime pour l'utilisateur de partager de la donnée, en toute confiance avec notre marque. La recherche immobilière a souvent été perçue comme compliquée et laborieuse alors qu’il s’agit d’un des évènements de vie les plus importants pour les foyers. Notre ambition est de progressivement basculer vers le matching “parfait” grâce aux données et aux algorithmes et laisser de moins en moins la place au hasard.
Quels sont les écueils que vous observez le plus souvent ? Comment la donnée propriétaire peut y répondre ?
Sandrine : Les équipes de Jellyfish constatent plusieurs écueils : d’abord, les silos inhérents aux organisations et qui impactent la mise en commun de cette donnée propriétaire. Dans toutes les organisations, il y a potentiellement un peu de données propriétaires dans toutes les équipes : les équipes digitales, CRM, finance et IT. Il faut pouvoir être en mesure de connecter ces équipes, de mettre en place une gouvernance collaborative autour de la donnée pour capitaliser le mieux possible sur cette donnée propriétaire. Le deuxième écueil, c’est d’essayer de compenser les changements actuels autour du respect de la vie privée et des cookies à tout prix, sans prendre le temps de revenir sur les fondamentaux. Le risque en restant très court termiste est de se rendre compte qu’on a perdu 80% de ces cookies et que l’ensemble des outils de mesure mis en place et les stratégies média sont obsolètes. Très concrètement, une marque pourrait se dire que le display est devenu sous-performant, alors qu’il n’est juste plus mesuré à sa juste valeur. Il faut que les marques prennent le temps de comprendre ces enjeux de mesure, ce que beaucoup ont déjà très bien fait d’ailleurs.
Pour finir, pouvez-vous partager quelques succès enregistrés grâce à la donnée propriétaire ?
Hervé : Après plusieurs mois de projets et une mobilisation forte des équipes en interne chez Orange Bank et avec l’aide de Google et d’Artefact, nous enregistrons une nette amélioration des audiences touchées, de meilleurs taux de conversion, un fonctionnement plus fluide, notamment grâce au nouveau Google analytics déployé depuis novembre. Concrètement, les coûts d’acquisition sur les leviers activés avec les données consolidées ont baissé de 25%, et la part des souscriptions premium dans les souscriptions en ligne a doublé. Notre ambition chez Orange Bank est de continuer à innover, pas uniquement au niveau de l’expérience client ou de l’offre bancaire, mais aussi dans les outils et pratiques du marketing digital. Nous sommes convaincus que les facteurs clés de succès pour poursuivre notre accélération digitale sont une meilleure gestion de l'omnicanalité, l’optimisation continue de nos modèles d’attribution et enrichissement de notre connaissance client, ainsi que la personnalisation de l'expérience client.