Les hipsters ont de quoi se faire quelques cheveux blancs. À en croire Google Trends, une vague healthy serait en train de déferler sous le regard perplexe d’une communauté en passe d’être détrônée (+37% de requêtes « healthy » entre S1 2016 et S1 20171).
La « barbe » comme signe distinctif serait aujourd’hui menacée par le tapis de « yoga » ou le « quinoa » (2 fois plus de requêtes « quinoa » et 2,6 fois plus de requêtes yoga que de requêtes « barbe » au 3ème trimestre 2017)2. Sur YouTube, le volume de vues autour de la thématique santé a augmenté de 33% en un an (S1 2017 vs. S1 2016)3, alors que le mot clé « healthy » renvoie 50 millions de résultats vidéos4. Le « vivre sain » serait-il devenu le point de ralliement d’une nouvelle sous-culture ?
Creusons ensemble la validité de cette théorie en balayant certaines caractéristiques clés des sous-cultures : l’opposition (ou du moins le questionnement) à la culture dominante, la systématisation des comportements et la cohésion du groupe face aux autres.
C’était mieux avant ?
Une chose est sûre, notre mode de vie suscite de multiples interrogations. Après les promesses de l’industrialisation, l’heure du bilan : mangeons-nous aussi bien qu’avant ? Ne sommes-nous pas trop sédentaires ? De quoi l’air que l’on respire est-il fait ? Et si les produits de base (pain, lait, etc.) étaient néfastes pour notre organisme ?
Si ces préoccupations fluctuent dans le temps (thématique régime sans gluten = -25% de vues sur YouTube entre S12016 et S120173 ; thématique lactose = +50%3), elles constituent toutes une même prise de recul vis-à-vis de nos automatismes. De même, si les approches healthy peuvent être différentes, selon que l’on se borne au « vivre sain » (e.g. low calories) ou que l’on s’associe au respect de l’environnement et des communautés (e.g. véganisme, locavorisme), la volonté de départ reste la même : faire différemment pour vivre en meilleure harmonie avec soi (et les autres).
Du pancake healthy… à la maison healthy
Cette volonté de faire différemment infuse une multitude de catégories. Google Trends nous apprend par exemple que les requêtes associées au mot clé « healthy » touchent non seulement à l’alimentation (« recette healthy » #1, « pancakes » #10), la beauté (« bourjois healthy mix » #11), mais aussi l’ameublement (« maison healthy » #21). Paradoxalement, la santé elle-même devient plus « healthy » avec un véritable désir pour des remèdes alternatifs « naturels »5.
Beauté, maison, santé : le mieux-vivre que promet le healthy revêt donc une dimension holistique. Bien sûr, la forme physique demeure importante : le volume de vues sur la thématique fitness sur YouTube a été multiplié par 3 entre le premier semestre 2015 et le premier semestre 20173. Face à un tel engouement, la basket (+100% de vues entre S12016 et S12017 sur la thématique) et la tenue de sport sont massivement sorties des terrains d'entraînement pour rejoindre podiums et garde-robes pour un look « athleisure ».
Mais au-delà du sport et du corps, une multitude d’initiatives visent à procurer un bien-être global. L’alimentation saine par exemple, hier exclusivement liée à l’entretien de sa forme, revêt aujourd’hui d’autres dimensions : concentration, humeur… À tel point que la requête « food for the brain » sur YouTube renvoie 9.5 millions de résultats vidéos. Les super-aliments (« super food » = 44 millions de résultats vidéos) sont vantés pour leurs vertus quasi-magiques, entre aide à la concentration avant les examens, peau radieuse et joie de vivre.
Ainsi, les secrets d’une healthy life se logent dans une multiplicité d’initiatives, de l’activité physique à la méditation pleine conscience (+230% de vues sur la thématique « mindfulness » sur YouTube entre S12016 et S12017).
Et qui dit multiplicité d’initiatives, dit multiplicité de gens ! Si sous-culture il y a, elle n’est pas circonscrite à un profil socio-démographique donné. Sur les 30 derniers jours, parmi les personnes intéressées par l’alimentation saine, l’écosystème Google révèle que si l’on trouve une majorité de 18-34 ans (61%)6, il existe une proportion non-négligeable de 45+ (20%). On trouve également 27% d’hommes et 73% de non-parents.
Cohésion : partage et codes
Enfin, si la cohésion du groupe n’est pas assurée par un style vestimentaire défini, elle l’est par l’ensemble des influenceurs qui structurent cette communauté. Ces influenceurs (lucile woodward, eppcoline, vert feuille, Alice Esmeralda,...) sont autant de repères pour défricher les usages et les démocratiser auprès de consommateurs volontaires mais parfois perplexes.
Qu’il s’agisse de « get healthy with me », « go green », « une journée dans mon assiette » ou de « grocery haul vegan », les influenceurs utilisent une rhétorique qui invite les internautes autant qu’elle les fédère.
Healthy un jour, healthy toujours ?
Parce qu’elle infuse tous les pans de la vie, rallier une sous-culture impose un investissement de tous les instants. Or, il semblerait que la motivation de certains adeptes du healthy fluctue au fil de la semaine. C’est ce que l’on constate notamment sur l’alimentation, avec des requêtes healthy sur YouTube qui culminent le dimanche pour diminuer tout au long de la semaine.
De même, si le quinoa ou le chia ont le vent en poupe, ils ne sont pas encore parvenus à détrôner des classiques nettement plus caloriques. De quoi décomplexer le healthista qui sommeille en nous !
Au total, s’il ne nous revient pas de trancher sur la portée culturelle du healthy, il est intéressant de constater que cette démarche s’intègre, comme toute sous-culture, dans une forme de questionnement de nos modes de vie contemporains, qu’elle concerne un nombre toujours croissant de catégories, et qu’elle est culturellement organisée et nourrie par un nombre toujours plus grand d’influenceurs.