Entre opportunités et risques, le secteur du luxe cherche sa place dans le monde du Web3. Comment aborder ce nouveau marché ? Analyse.
Blockchain, NFT ou Metaverse : le champ lexical du Web3 peut paraître bien mystérieux. Pourtant, au-delà d’un aspect linguistique rugueux, ces termes renvoient à des technologies qui modifient en profondeur le secteur du luxe, mais interrogent aussi sur la stratégie à adopter pour les marques. Qu’est-ce que le Web3 ? Quel impact va-t-il avoir sur le secteur du luxe ? Quelles sources de croissance pour quels risques à anticiper?
Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, Think With Google a réuni plusieurs acteurs du luxe et du Web3. Ian Rogers, Chief Experience Officer et Sébastien Badault, VP Métavers et Web3 de Ledger nous ont apporté leur connaissance technique sur le sujet. Tandis que Clarisse Reille, Directrice Générale de DEFI La Mode de France, Pierre Guigourèse, cofondateur de Exclusible et Eric Briones, Directeur Général du Journal du Luxe, ont porté la voix des questionnements du secteur sur le sujet.
Web3, Métavers : retour sur des technologies mal comprises
Qu’est-ce que le Web3 ? Cela peut paraître évident, mais il est important de rappeler pour commencer que le Web3 (version courte de Web 3.0) est la suite logique du Web 2.0, qui a émergé au courant de la décennie 2000, avec l’avènement des réseaux sociaux et services centralisés en ligne.
A contrario, le Web3 s’envisage comme un lieu où la décentralisation est reine : la blockchain, qui constitue un registre des échanges effectués entre utilisateurs et utilisatrices, en est la colonne vertébrale. La blockchain repose sur un système cryptographique où les individus contrôlent, valident et enregistrent chaque interaction - c’est la technologie utilisée pour les cryptomonnaies. Les NFTs en sont aussi une émanation. Ces “jetons non fongibles” permettent d’associer un actif à un jeton digital qui garantit son authenticité grâce au contrôle de la blockchain.
Quid du métavers ? Vaste concept, que l’on résume souvent à un monde virtuel immersif dont la forme (en ligne, en réalité virtuelle ou dans un jeu vidéo) n’est pas encore aboutie. En réalité, nous vivons déjà partiellement dans le métavers : nos espaces de vie digitaux en commun, sur les réseaux sociaux ou Google Meet, nous introduisent dans des bulles numériques que l’on peut qualifier de métavers.
Valeur, rareté et communauté
Si ces termes paraissent encore flous pour de nombreuses personnes, c’est parce que leurs effets sur le marché global ne sont pas encore définis. Pourtant, selon Ian Rogers, ils vont entraîner une révolution plus vaste que celle d’Internet.
“La révolution Internet était une révolution de l’information (...) Le Web3 sera une révolution de la valeur.”
Le succès d’une gamme de NFTs repose ainsi sur la créativité, mais aussi la rareté de ceux-ci : c’est leur exclusivité qui fait leur valeur. Deux concepts qui sont également essentiels pour le secteur du luxe, auxquels doit s’adjoindre un troisième : celui de communauté. Les mécaniques sociales, les discussions et le partage sont au cœur du succès de cette technologie et essentielles à ceux qui veulent s’en emparer.
L’univers du gaming est représentatif, voire avant-gardiste, de ces usages. Des jeux comme Roblox ou Animal Crossing représentent les “lieux” du métavers, tandis que la plateforme Discord agit comme le liant entre eux, où l’on se rencontre, où l’on échange. La digital scarcity peut, dans le cas du jeux vidéo, être représentée par les actifs digitaux que représentent les skins (les habits que l’on achète pour un personnage).
Les NFTs, un point d’importance pour le secteur
Des actifs numériques authentifiés, propres à chacun et qui ouvrent la voie à de nouvelles communautés en ligne, dans la vie réelle et sur le marché. Si la comparaison entre le secteur du luxe et le monde vidéoludique a son intérêt, s’agissant du Web3, elle a aussi ses limites : un marché différent, un public différent, une manière de consommer différente. Aussi, quels sont les cas d’usages calibrés pour le luxe et la mode du Web3 ?
Les NFTs sont d’ores et déjà un point d’entrée dont il est important de comprendre et de s’emparer. “Les NFT peuvent devenir la haute-couture du métavers”, note à ce sujet Eric Briones, Directeur Général du Journal du Luxe. La première opportunité établie par les participant·es, c’est celle de lier un objet de luxe avec son actif numérique : utiliser des NFTs pour vendre plus et accompagner les produits physiques d’une contrepartie numérique, ce qui permettrait de créer un sens de communauté et une valeur-ajoutée au produit.
Un investissement qui présente peu de risque sur une gamme réduite de produit, tout en permettant de créer une culture numérique plus approfondie au sein de l’organisation. C’est aussi le point d’entrée d’opportunités commerciales plus vastes. “Offrir à sa clientèle de nouvelles expériences, de nouveaux produits, qu’ils soient physiques ou numériques, doit être considéré comme moyen de créer de nouveaux liens avec elle”, note Clarisse Reille, Directrice Générale de DEFI.
En parallèle, “les NFT peuvent aussi être une manière de reprendre la main sur le marché de la seconde main, ce qui change tout”, note à nouveau Eric Briones. "Aujourd'hui, les jeunes générations commencent par acheter des produits de luxe via la seconde main. Mais demain, les NFTs peuvent devenir comme un ‘passeport produit’ permettant de mieux appréhender ses marchés.”
Les NFT peuvent aussi être une manière de reprendre la main sur le marché de la seconde main.
Reprendre la main sur ce marché, mais aussi appréhender de nouveaux publics et assurer la lutte contre la contrefaçon. “Si j’étais une marque de luxe, j’investirais absolument dans les NFTs car, avant de les imaginer comme des œuvres d’art, il faut comprendre qu’il s’agit de smart contracts”, note Sébastien Badault. En effet, l’utilisation de la blockchain permet la création de smart contracts qui assurent l’authenticité, la durabilité et la traçabilité des produits tout au long de leur cycle de vie.
Une stratégie à mettre en place
Malgré un intérêt certain pour le secteur, plusieurs questions se posent : les early adopters et publics intéressés par les NFTs et le Web3 sont-ils les mêmes que ceux qui poussent les portes des magasins de luxe ? Comment faire en sorte que les valeurs des grandes maisons du luxe soient retransmises dans ses digital assets ?
La mise en place d’une stratégie claire est importante pour la marque. Une stratégie clientèle et relationnelle, ainsi qu’une connaissance approfondie des publics qui composent la clientèle. “Pour les jeunes générations par exemple, l’intérêt commence par le numérique et c’est ensuite le travail de la marque de convertir cet intérêt en présence en magasin”, explique Pierre Guigourèse, cofondateur de Exclusible. La création de nouvelles expériences et de rendez-vous, physiques ou en ligne, peuvent être un moyen de connecter l’audience avec ces nouveaux espaces et ce marché. ”C’est une façon de créer un lien numérique avec ses clients” et engager les consommatrices et consommateurs de manière différente, note Clarisse Reille.
Pour les jeunes générations par exemple, l’intérêt commence par le numérique et c’est ensuite le travail de la marque de convertir cet intérêt en présence en magasin.
C’est aussi dans cette stratégie que doivent s’inscrire les valeurs des grandes maisons de luxe : la beauté, le savoir-faire, l’intemporalité des produits réels sont des atouts que l’on doit retrouver dans les perspectives numériques de la marque. “La réponse à cette question est encore à construire, puisque nous parlons de quelque chose de réellement nouveau”, note Ian Rogers. “Mais selon moi, la réponse est évidente : il faut travailler avec des artistes. Des personnes de votre communauté qui cherchent les limites de votre identité.”
In fine, les marques ont déjà la possibilité d’investir les lieux et plateformes des NFTs, du métavers et, plus globalement, du Web3. Avec l’inventivité, la créativité et l’audace qu’on leur connaît, tous les champs des possibles sont ouverts.