Ces derniers mois les acteurs du retail (distributeurs et fabricants) ont vu leur modèle traditionnel mis à rude épreuve. Après des années de succès basé sur la production et la distribution de masse, le système semble s’être peu à peu grippé. Les consommateurs sont de plus en plus sensibles et exigeants quant à l’impact de leurs achats sur la planète, la société mais aussi sur leur santé. La technologie doit donc être au service de la transparence et du développement durable. Plusieurs mouvements se conjuguent : d’une part, de nombreuses startups sont venues participer à la réinvention l’expérience client, d’autre part les géants digitaux sont devenus des poids lourds du commerce en ligne, et enfin les DNVB (Digital Native Vertical Brands) ont « grignoté » des parts de marché grâce à un positionnement et une relation plus moderne et plus directe avec les consommateurs… Bref le marché a fortement changé et la performance financière du retail montre qu’un certain nombre de grands acteurs n’a encore pris totalement la mesure de cette mutation. Alors que certains voient leurs résultats passer dans le rouge, c’est même pour les plus fragiles une vague de faillites (comme Virgin Megastore, Toys'R'Us ou Payless) ou de fermetures de magasins, en particulier aux Etats-Unis (Sears).
La situation semble en voie de stabilisation aux USA – notamment Walmart qui a réalisé en 2018 ses meilleurs résultats depuis 6 ans – et est loin d’être inéluctable et définitive. Certains retailers et fabricants sont eux bien décidés à investir pour transformer leur activité à la vitesse grand V et retrouver succès et croissance. Issue de nos LearnEx en Asie et à la NRF (NYC), le HUB Institute retient trois positionnements clés à adopter pour réussir :
MAKE IT EASIER
Malgré des années d’innovations incrémentales, le principe même du shopping n’a guère évolué. Dans la majorité des cas on propose encore au client de se rendre à un point de vente pour faire la queue après avoir mis des produits dans un caddie. Le consommateur lui a désormais un choix gigantesque à portée d’un clic, ou même d’un mot avec les enceintes connectées. Avec son mobile il a constamment accès à l’information que ce soient les prix des concurrents ou les avis clients. Et comme dans d’autres domaines Airbnb, Spotify, Uber ou Netflix, il va comparer en permanence votre expérience client aux meilleures applications ou sites web.
La digitalisation doit donc avant tout permettre de simplifier fortement l’acte d’achat et ce en omnicanal. Pourquoi ne pas tout simplement supprimer ce pain point qu’est le passage en caisse en proposant une application mobile « scan and go » comme Monop’ Easy ou au Casino et laisser le client scanner lui-même ses produits. Leclerc a su développer avec grand succès son « Drive » qui permet de faire ses courses en ligne et de juste passer prendre ses achats qui auront été préparés au préalable.
Auchan de son côté teste des mini magasins autonomes en Chine. Dans ces surfaces de vente de la taille d’un grand container il suffit de s’identifier avant de se servir et de quitter l’enseigne qui détectera automatiquement les produits choisis (via un mix de caméras, d’étagères connectés et d’intelligence artificielle) lesquels lui seront directement facturés. Sephora propose désormais la réservation de soins ou de cours de maquillage grâce aux enceintes vocales (le service étant aussi disponible via l’application vocale de son téléphone).
Un seul objectif : faire plus simple et plus intuitif.
Dans les deux « flagship stores » de Nike à New York (Broadway et 5ème Avenue), une application mobile permet au client de simplifier et d’enrichir son expérience shopping de multiples façons : vous pouvez scanner et payer vos articles dans le point de vente, ou acheter en ligne et venir récupérer dans des casiers vos achats, à moins que vous préfériez réserver une session avec un « personal shopper » pour vous conseiller ou même un cours pour customiser vos baskets. Dans un monde omnicanal il faut désormais s’adapter et anticiper les multiples parcours client possibles. Un seul objectif : faire plus simple et plus intuitif. Dans cette nouvelle réalité le choix devient quasi illimité, c’est votre expérience client qui fera la différence.
DO IT FASTER
Si les retailers physiques ont parfois sous-estimé le e-commerce qui ne représente finalement dans l’alimentaire que 6% des volumes, ils n’ont pas forcément anticipé que les pure players e-commerce s’intéresseraient eux-aussi au commerce physique. En Chine JD.com prévoit ainsi d’ouvrir 1000 supermarchés 7fresh en 5 ans. Aux Etats-Unis Amazon a racheté Whole Foods et déploie par ailleurs ses magasins autonomes Amazon Go et ses enceintes connectées Amazon Echo (avec plus de 100 millions d’utilisateurs). Les marques DNVB comme le Slip Français ou My Jolie Candle font preuve d’une grande agilité et mettent en place un marketing plus engageant avec leur communauté de clients. La marque de couches pour bébé Joone conçoit ainsi de nouveaux produits en 12 à 16 semaines contre 18 mois pour les acteurs traditionnels. Le coût d’accès aux consommateurs et la conception produit n'a jamais était aussi rapide. Bref face à ces nouveaux acteurs omnicanaux et innovants, le retail se doit de réagir !
Si le rachat ou l’investissement dans des startups (comme Unilever avec Dollar Shave Club par exemple ou Modiface avec l’Oréal) permet parfois de gagner du temps et d’intégrer des experts métiers, les fabricants et distributeurs doivent opérer une véritable transformation, pas seulement digitale mais aussi culturelle, organisationnelle et avec une évolution de leur business model. Il faut pouvoir innover plus vite, tester de nouveaux produits et services en s’appuyant sur une connaissance de la donnée client, marketing et logistique et l’usage de l’intelligence artificielle. Cela passe évidemment par une prise de conscience et un vrai leadership de la direction tout en recrutant de nouvelles expertises et en formant en continu les équipes aux nouveaux métiers et nouveaux micro skills. Dès aujourd’hui il faudrait pouvoir vendre du « online » vers le « offline » ou inversement en proposant une expérience sans couture et cohérente à travers tous les points de contacts. Cela implique de faire échanger et travailler ensemble toutes les équipes métiers encore trop souvent en silos avec des process et des vocabulaires très différents. Pour aller plus vite, il faut prioriser les projets et se concentrer sur l’essentiel uniquement : le client.
Pour aller plus vite, il faut prioriser les projets et se concentrer sur l’essentiel uniquement : le client.
DO IT BETTER
Au-delà de l’expérience, les clients ont de nouvelles attentes en termes de confiance, de transparence, de développement durable, de traçabilité ou d’authenticité. Echaudé par de nombreux scandales alimentaires, l’usage de produits chimiques ou l’impact du plastique sur l’environnement, le consommateur est devenu beaucoup plus responsable et engagé et attend de la part des marques une vraie responsabilité sociale et durable. Mais attention au « greenwashing », le client ne se contente pas de beaux discours ou de déclarations d’intentions, il veut des actes et des preuves. Et souvenez-vous qu’à l’heure des applications comme Yuka (utilisée par 10M de Français) ou CleanBeauty, l’information sur les ingrédients ou la provenance est accessible en un clic.
Face à ces nouvelles attentes de consommation plus responsables, de nombreuses enseignes et fabricants ont décidé de réagir et de communiquer sur leurs actions positives. De passer de simple marque à un « mouvement » de valeurs, Danone en est un bon exemple. Avec #venezvérifier Fleury Michon propose de découvrir les coulisses de ses innovations en matière de recettes sans conservateur ou de montrer in situ comment sont élaborés les bâtonnets de surimi. Carrefour avec sa campagne « légumes interdits » a contribué à modifier la Loi problématique d’interdiction à la vente des semences paysannes, qui limitait de facto le choix offert aux clients, surtout dans une logique locavore. Leclerc lance « le marché bio Leclerc », un nouveau type de magasins dédié au bio qui devraient atteindre 200 points de vente d’ici 5 ans. Précurseur, dès 2014 avec sa campagne « les fruits et légumes moches », Intermarché a cherché à sensibiliser ses clients sur le gâchis lié à la sélection esthétique trop drastique des centrales d’achat. Une des pistes passe aussi par la blockchain qui présente de nombreuses opportunités pour améliorer entre autres la traçabilité des denrées alimentaires.
Sous l’influence des marques américaines, la recherche de sens des entreprises passe aussi par une plus grande parité et inclusion, les nombreuses campagnes présentées aux Cannes Lions cette année témoignent de cette forte orientation. En Israël Ikea a lancé « Thisables.com » une collection d’accessoires imprimés en 3D pour simplifier l’usage de ses meubles par les handicapés. Microsoft a lancé pendant le Super Bowl son « Xbox Adaptive Controller », une manette permettant aux handicapés de devenir à leur tour « gamers ». Une initiative symbolique mais aussi le moyen de toucher un nouveau marché car cette minorité n’en est plus une… 20% des Américains souffrent d’un handicap. Et même dans le luxe, Tommy Hilfiger a lancé une gamme de vêtements co-conçue avec une communauté de 1500 handicapés pour leur simplifier la vie tout en bénéficiant du même style que les valides.
Jamais le secteur du retail n’aura été aussi challengé mais jamais le métier n’aura été aussi innovant grâce aux technologies. Pour une fois ce sont les clients connectés, hyper informés et engagés qui demandent plus d’innovations. Inspirés par les nouveaux acteurs, ils ont autant d’attentes au niveau de l’expérience client que des engagements de la part des enseignes et des marques. Easier, Faster, Better, l’heure n’est donc plus à hésiter mais bel et bien à réaliser sa transformation business. Une aventure qui s’annonce complexe, ambitieuse mais passionnante !