Le luxe n’est pas une industrie. C’est un univers avec ses codes et ses valeurs. Si la créativité et l’innovation sont ses principes fondateurs, les technologies y sont trop rarement associées. Or, la fertilisation croisée du luxe et de la technologie ouvre un nouvel espace-temps où l’excellence des maisons est révélée, la création valorisée et l’expérience client optimisée.
Le temps retrouvé
Le luxe s’inscrit dans le temps long. Souvent rattaché à des valeurs de pérennité et d’intemporalité, il incarne l’histoire de maisons centenaires, présentes dans notre imaginaire jusqu’à faire partie de notre patrimoine culturel.
Les nouvelles technologies participent à la préservation, à la transmission et au partage de ce patrimoine. Lancé en 2017, le projet We Wear Culture vise à rendre la culture de la mode accessible à tous. Sont retracés 3000 ans d’histoire de la mode au travers de 500 expositions virtuelles réalisées avec 180 institutions partenaires telles que le Château de Versailles ou le Kyoto Costume Institute. Sont exposés plus de 30 000 vêtements et accessoires de mode pour suivre l’évolution des chapeaux, des chaussures, des saris ou des kimonos au fil des siècles et des tendances.
Il ne s’agit pas uniquement de mettre à disposition des contenus vidéo, des images et des textes. La technologie est aussi utilisée pour valoriser et raconter l’histoire de pièces iconiques telles que la petite robe noire imaginée par Coco Chanel en 1926 ou le premier Stiletto dessiné par Salvatore Ferragamo pour Marilyn Monroe. Ici, la vidéo 360 et la réalité virtuelle embarquent l’utilisateur dans une expérience aussi riche que ludique.
Et s’il était enfin possible de percevoir l’imperceptible ? La technique Gigapixel de numérisation des oeuvres picturales à ultra-haute définition s’applique aux tissus et permet de zoomer dans les moindres détails. Illustration avec la robe de cocktail de Cristóbal Balenciaga, créée en 1953 et précieusement conservée à la Cité de la dentelle et de la mode de Calais. Les fines arabesques de dentelle, que l’on prend pour des fleurs, sont en fait des couples qui dansent. La technologie rapproche ainsi l’utilisateur de l’oeuvre et fait la lumière sur l’intention créative.
Le temps de l’inspiration
La technologie participe activement au processus de conceptualisation de l’idée. Elle nourrit l’inspiration et démultiplie les sources d’inspiration.
Dégradé de bleus, camaïeu de roses, variation de verts : les couleurs sont comme l’élément primaire de la création. Elles l’animent et véhiculent des émotions. En témoigne Paul Smith, qui utilise l’outil Art Palette pour créer de nouvelles combinaisons de couleurs et nourrir sa créativité. À partir d’une palette de couleurs, des algorithmes recherchent des correspondances parmi les oeuvres, objets ou dessins exposés dans les institutions culturelles à travers le monde. Autant de correspondances que le cerveau humain ne pourrait faire.
Source incontestée d’inspiration, le magazine devient une ressource interactive. Avec LIFE Tags, plus de 4 millions de photographies jamais publiées par le magazine américain LIFE sont désormais visibles de tous. Classées à l’aide du machine learning, elles permettent de voyager à travers les époques et les styles, de 1936 à nos jours. Manuellement, ce travail aurait pris plusieurs années.
Le temps de la création
Prolongeons le voyage dans l’espace-temps du luxe pour voir comment les technologies transforment l’objet même, comment les données deviennent une matière première dans les mains des artisans.
Expérimentaux, les projets MUZE et Decoded Couture montrent toute la puissance de personnalisation des données contextuelles et affinitaires. Le premier permet au designer d’imaginer un vêtement, ses couleurs, ses motifs et matières à partir de données d’affinité culturelle tandis que le second personnalise les motifs d’une robe en fonction des endroits visités, du temps. Ces créations sont 100% uniques et originales.
Quand les fils se connectent et deviennent tissu, on obtient le Levi’s Commuter Trucker Jacket. Après 2 ans de collaboration, Levi’s et Google présentent le premier vêtement pourvu de la technologie Jacquard, qui permet à l’utilisateur d’interagir avec son smartphone sans avoir à le sortir de la poche. Musique, navigation, gestion des appels sont désormais accessibles d’un simple mouvement du bras. En toute sécurité.
Le temps de l’expérience
Le luxe est avant tout une question de ressenti face à un objet ou un univers. Le goût du détail, l’attention apportée, le sentiment du ‘bien pensé’ et du ‘bien exécuté’ sont souvent aussi importants que l’objet lui-même. Et si le luxe n’était plus seulement l’objet possédé mais une somme d'expériences ?
L’expérience première est la découverte du produit. Par la reconnaissance visuelle, application concrète de l’intelligence artificielle, l’utilisateur peut identifier des objets dans son environnement proche, obtenir des informations pertinentes et accéder à des produits similaires. D’une simple photo, l’immatériel devient réel.
Vous souhaitez trouver le parfum qui vous correspond le mieux ? Demandez « OK Google, je veux parler à Guerlain ! » De la voix au parfum : un voyage sensoriel interactif et une expérience client inédite.
Fer de lance de l’expérientiel, la réalité virtuelle transporte l’utilisateur dans l’imaginaire des marques, rend possible l’impossible et fait vivre des émotions nouvelles. La réalité augmentée offre, quant à elle, une source infinie de storytelling aux marques. Ce n’est pas juste un objet placé dans notre réalité. C’est tout un monde qui peut prendre vie autour de nous et avec lequel nous interagissons. Et si demain un designer vous invitait dans son atelier pour vivre à ses côtés chaque étape du processus de création et découvrir son univers ? L’expérience du luxe à l’état pur.
À l’aune de ces évolutions, je vous partage 3 convictions :
1. L’ouverture des plateformes : une formidable opportunité de liberté. Si ces plateformes sont ouvertes et accessibles à tous, c’est précisément pour que les développeurs s’en emparent, se les approprient et créent l’expérience qui traduit le mieux les valeurs et l’univers de marque.
2. La technologie, un outil supplémentaire au service de la création. Exit la dichotomie entre technologie et création. La technologie vient démultiplier les sources d’inspiration, la capacité à réaliser et à partager son univers.
3. L’excellence naît aussi de la capacité à fail fast. Le temps de l’innovation s’est accéléré. Il ne faut donc pas hésiter à aller vite dans l’adoption de la technologie. Quitte à échouer, car c’est dans l’échec que l’on apprend le mieux à se connaître.
Les maisons de luxe possèdent le passé et le présent. Pour gagner le futur, elles doivent redoubler d’agilité et miser sur les technologies.