Les achats programmatiques connaissent un essor important depuis maintenant plusieurs années : + 21% au premier semestre 2022 (vs la même période en 2021), ce qui représente 65% des achats display en France1. Qu’est-ce que cela change pour les marques ? Et pour les éditeurs ?
2 spécialistes françaises, Mirianna Babo, responsable acquisition digitale chez Orange Bank et Karine Mardirossian, Directrice Générale de Média Figaro, ont croisé leur regard sur les enjeux du programmatique à l'heure où les algorithmes facilitent l’achat média.
Aujourd’hui, quelle est la part des achats programmatiques au sein de votre groupe ?
Karine Mardirossian : Le programmatique est un des leviers de croissance du groupe Média Figaro. Ce qui a d’abord été perçu comme une perte de valeur ou de non maîtrise du business est désormais vu comme une opportunité. Le programmatique ouvre un large spectre et permet d’adresser toutes les catégories d’annonceurs. Il permet aussi à la régie de répondre à des logiques de performance. Il faut associer à cela le header bidding (type d'achat programmatique de médias permettant aux éditeurs de proposer un inventaire à plusieurs plateformes ad exchange avant de faire appel à des serveurs publicitaires, ndlr), qui s’est également beaucoup développé au sein des régies. Il permet de générer plus de business et de densifier la demande.
Mirianna Babo : Pour Orange Bank, le programmatique s’est révélé être un levier extrêmement puissant : on peut utiliser tellement de formats ! En termes d’activations digitales, nous avons pris un parti fort en centralisant l’ensemble des achats média. On a augmenté significativement nos budgets car on a pu faire des économies en centralisant nos dépenses : on a activé du IAB côté perf, de la vidéo côté branding, le tout avec des coûts maîtrisés.
Comment l'écosystème des médias s’est-il adapté à cette accélération ?
Mirianna Babo : Avec la crise sanitaire, le display a beaucoup évolué : il nous a fallu prendre en compte les nouvelles attentes, notamment sur le volet social. Avant, nous étions très orientés sur le ciblage contextuel, puis vers un ciblage orienté data. Désormais, avec l’évolution des contraintes réglementaires et un contexte de remise en question de la publicité de la part d’une partie des internautes, nous cherchons à orienter les internautes et susciter l'envie. On s'adapte aux nouveaux usages.
Karine Mardirossian : Nous avons réorganisé et formé les équipes mais aussi recruté des accounts managers dédiés afin d’accompagner nos clients sur le suivi des KPIs. Notre exigence reste la même que sur le gré à gré, nous proposons via les deals et le programmatique garanti des formats évènementiels et nous offrons une granularité de ciblage avec des segments prédéfinis ou construits spécifiquement sur mesure pour nos clients. Nous proposons également une approche hybride entre contextuel (cookieless) et données propriétaires.
Dans un monde post-cookie tiers, quelle valeur auront les achats programmatiques ?
Karine Mardirossian : Nous constatons une perte de valeurs sur les navigateurs Safari et Firefox. Ce sont des environnements qui suscitent moins d’intérêts (absence de tracking). Nous testons différentes solutions d’ID, certaines nous permettent de mesurer un impact positif avec un uplift sur les revenus.
Nous attendons aussi les résultats des tests réalisés cet été sur Privacy Sandbox (sur Topic et Fledge). Le marché est encore à la recherche du bon modèle, il y aura probablement plusieurs solutions pour rebâtir un modèle pérenne.
Mirianna Babo : Ça peut être perçu comme un retour en arrière mais en réalité, ça n’est pas le cas ! Les annonceurs qui pourront tirer leur épingle du jeu sont ceux qui pourront adresser le bon message sur le bon contexte et rester percutant. Un des enjeux, c’est “est-ce que ma pub est vue ou pas” ? Le taux de visibilité est un des KPIs que l’on a fixé à notre agence : comment peut-on capter l’attention des internautes sans être intrusif pour ne pas créer de rejet ? Et comment peut-on générer plus de résultats avec des budgets maîtrisés ?
Pour finir, quels sont les grands défis à relever pour les spécialistes du média digital ?
Mirianna Babo : On n’a plus les consommatrices et consommateurs d’il y a 10 ans ! Ils sont de plus en plus avertis, il y a une exigence accrue de transparence. On doit proposer un service qui lui corresponde, et parler vrai. Cette évolution est fondamentale. Il va aussi falloir développer des approches test & learn pour trouver des pépites, des “hacks” qui permettront de trouver. Les attentes ne sont pas à l’uniformité : il faut savoir sortir du cadre. Parfois, certaines choses fonctionnent pour certains annonceurs et pas pour d’autres. Il faut accepter cela et être assez humble. On ne doit pas dupliquer le même message partout : nous, ce n’est pas le choix que l’on a fait.
Karine Mardirossian : Je vois de mon côté au moins 3 enjeux majeurs pour notre profession dans les mois à venir : un enjeu réglementaire, un enjeu technologique et un enjeu environnemental. Nous prêtons une attention toute particulière à ce dernier volet. Aujourd’hui, la publicité digitale doit réduire son empreinte carbone, nous sommes d’ailleurs accompagnés par 2 cabinets Sidièse et Ekodev au niveau du groupe et de la régie. Nous avons également lancé une offre Low carbon « GreenView », qui permet de réduire entre 40 et 70% l’impact carbone sur le format in-stream : la vidéo est encodée et compressée sans altérer sa qualité. Au-delà de la mesure, on cherche à apporter des solutions au marché et aux clients pour limiter autant que possible l’impact environnemental de notre secteur.