“En voiture Simone !” Est-ce que dans l'industrie automobile, comme dans le célèbre adage, les femmes sont vraiment invitées à prendre le volant ? Qu’en est-il réellement de la mixité de genre dans le secteur ? Deux spécialistes ont accepté d’en débattre : Elisabeth Young, Présidente de WAVE, association visant à favoriser la mixité dans le secteur de l’automobile et Charles Fiessinger, à la tête du Programme Diversité et inclusion de Michelin en France et en Europe du Sud.
Quel est l'état de la mixité en 2022 dans la filière automobile ?
Elisabeth Young : En moyenne, on observe 20% de femmes dans l’automobile, en prenant en compte l’ensemble du secteur et des services associés. C’est un secteur où la mixité est structurellement faible ; toutefois, on mesure une progression très nette, servie par une palette de métiers très large. L’objectif de WAVE, c'est d’atteindre un tiers de femmes dans le secteur. C’est le seuil à partir duquel l’écoute est plus grande et l’intégration se fait mieux. L’industrie a pris conscience de cet enjeu : des entreprises telles que Michelin dédient désormais des ressources spécifiques pour arriver à cet objectif.
Charles Fiessinger : Je partage ce constat ! Nous avons aujourd’hui 21% de femmes chez Michelin, 29% en situation de management et notre objectif d’ici 2030 est d’atteindre 35%.
Y-a-t-il une situation particulière en France ?
Charles Fiessinger : Je constate que la question de la mixité est peut-être plus compliquée en France qu’ailleurs, car les stéréotypes de genre sont culturellement plus forts, ce qui fait que certains métiers sont essentiellement masculins et d’autres essentiellement féminins. Dans le milieu de la tech, par exemple, on rencontre le même problème ! Il faut que les entreprises soient plus présentes dans le débat public sur ces questions, en ayant à l’esprit que la mixité amène de la performance.
Elisabeth Young : On s’aperçoit aussi que les femmes, quand elles sont en poste, ne sont pas spécialement bien accueillies… Les hommes ne leur facilitent pas la vie ! Dans la distribution automobile par exemple, pendant longtemps, elles n’étaient pas bienvenues. C’est la raison pour laquelle nous insistons auprès des hommes pour qu’ils jouent un rôle dans la mixité de l’industrie (40% des membres de l’association sont des hommes, ndlr).
Charles Fiessinger : Il y a aussi des mécaniques d’autocensure qui font que les femmes ne viennent pas dans le secteur. En tant que femme, on peut avoir l’impression que ça va être difficile.
Elisabeth Young : En effet, les femmes se mettent beaucoup de freins dans leur évolution de carrière. Il y a tout un travail qui doit être fait pour que les femmes prennent mieux confiance en elles, à l’image de ce qui est fait chez Google avec #IAmRemarkable.
Quelles sont les solutions pour atteindre ces objectifs ?
Elisabeth Young : WAVE travaille chaque année à mettre en avant des role models, des femmes qui ont réussi à des postes de direction dans l’automobile. On a besoin d'avoir en face de soi des personnes qui font dire : "Oui, en fait, c’est possible". L’accompagnement individuel est aussi essentiel. Nous animons plusieurs programmes de mentoring, dont le dernier en date, WISE (Women In Senior Employment), créé avec le soutien de la Fondation Renault Group, aide les femmes seniors, qui rencontrent des difficultés dans leur carrière.
Enfin, il nous semble crucial d’assurer une communication continue sur ces sujets, car dès que l’on déconnecte, on s’aperçoit que les entreprises ont tendance à faire passer les questions de mixité au second plan.
Charles Fiessinger : Cette question doit effectivement être traitée dans la durée. Au sein de l’entreprise, nous actionnons plusieurs leviers : donner envie, cibler nos recrutements (sans discrimination positive), donner du sens, favoriser la mobilité, développer un vivier de talent, accompagner les plans de carrière, et enfin assurer la meilleure formation en interne.
Au sein de la filière, observez-vous des différences entre constructeurs, distributeurs et fournisseurs ?
Elisabeth Young : Les problématiques ne sont effectivement pas les mêmes selon les acteurs. Dans la vente de véhicules, où l’on estime que les femmes ont autant de poids que les hommes dans le choix final d'un véhicule, on trouve peu de femmes à l’après-vente dans les concessions, alors qu’elles sont très présentes dans le commercial et très à l’aise sur le digital.
A contrario, côté constructeur, elles sont de plus en plus présentes à des postes clés. Il y a de plus en plus de femmes dans le design, par exemple, à l'image d’Agneta Dahlgren, la conceptrice de la Renault ZOE. Et c’est important car mieux on assurera la mixité, et mieux on intégrera les désirs et besoins des nouvelles consommatrices.
Charles Fiessinger : La mixité est en marche. Ma perception est que les viviers sont là. On a un véritable enjeu, notamment sur le recrutement dans les 16 usines du groupe en France. Chez Michelin, nous avons envie de contribuer à ce que notre entreprise mais aussi l’ensemble du secteur atteigne cet objectif, car c’est un sujet liés à nos valeurs. Nous sommes engagés dans cette voie mais nous avons encore beaucoup à apprendre.
Quel est l'enjeu derrière le fait de favoriser la mixité dans l’automobile ? En quoi est-ce nécessaire?
Elisabeth Young : Au-delà de l’aspect moral, les études publiées sur le sujet montrent l’impact positif de la mixité sur les performances des entreprises, et notamment quand cette mixité est présente au plus haut niveau, dans les conseils d'administration.
Charles Fiessinger : J’aime bien réfléchir en termes "d’intelligence collective" : il faut que les savoirs s’additionnent et que les biais s’annulent. La diversité ne doit pas seulement être une variable comptable mais une diversité qui corresponde aussi au niveau de décision, de management. Nous y travaillons, mais il faut aussi que l’ensemble de la société nous aide.
Quel est l’intérêt du partenariat signé récemment entre Google et WAVE ?
Elisabeth Young : L’association WAVE est partie d’un ras le bol, il y a 14 ans. Et dès le début, nous avons eu la chance d’être immédiatement suivis par de grandes entreprises de la filière comme Michelin. Aujourd’hui nous avons 20 partenaires et sommes heureux d’accueillir Google, avec qui nous partageons la conviction que la mixité est un progrès pour toutes et tous. Et cette collaboration sera d’autant plus riche pour nos adhérentes et adhérents que l’automobile est en train de se réinventer, pour être plus digitale, plus écologique…et plus mixte !
Un dernier mot pour la fin ?
Charles Fiessinger : Nous avons dans chaque industrie des programmes qui vont dans ce sens. Il faudrait arriver à rapprocher les différents segments et pouvoir parler de nos métiers dans les filières de formation pour casser les représentations limitantes, que ce soit pour la filière automobile, la filière tech ou autres. Wave, en cela, est un bon intégrateur et se donne beaucoup de mal pour une association animée par des bénévoles. Ils méritent d’être soutenus !