Que cela soit par le prisme des évolutions réglementaires visant à protéger les internautes ou des contraintes technologiques, la donnée qui était hier encore une richesse abondante devient désormais une denrée rare.
En parallèle, les plateformes digitales font évoluer leurs approches autour de KPIs business tels que le revenu ou la marge. Une réalité qui pousse les entreprises à repenser leur fonctionnement en nouant des liens plus forts entre les équipes finance et marketing.
Deux activités historiquement liées, dont la collaboration devrait se renforcer au cours des prochaines années pour faire face à ce double enjeu. Dans ce contexte, la marque constitue un asset de valeur autour duquel finance et marketing peuvent se retrouver pour construire des stratégies durables et créatrices de valeur sur le long terme, loin des logiques court-termistes.
La pensée court-termiste est prédominante, et cela peut poser problème
Manel Oliva-Trastoy, partner chez Bain & Company explique que quatre facteurs conjoncturels sont venus encourager cette pensée à court-terme :
- Facteur n°1 : l’inflation. Une réalité économique que nous n’avions pas connue depuis longtemps et qui met une pression très forte sur les coûts tant opérationnels que sur la supply chain.
- Facteur n°2 : les vagues de transformation. Les transitions, qu’elles soient digitales ou RSE, entraînent des coûts sur les technologies, les compétences, le développement de nouvelles offres…
- Facteur n°3 : l’augmentation des taux d’intérêts. Les crédits deviennent plus chers, mais surtout plus difficiles à obtenir car les banques deviennent de plus en plus réticentes aux prêts tant pour les ménages que pour les entreprises.
- Facteur n°4 : la réalité de la mesure. Il est plus facile de mesurer les incidences à court-terme car ils peuvent être associés à des actions marketing que ceux à long-terme qui intègrent des facteurs variés et des effets liés au temps.
Un ensemble de facteurs qui peut pousser les entreprises à relayer les investissements sur la marque, qui nécessitent un travail sur le temps long, au second plan.
Des ressources humaines aux ventes, la valeur de la marque est incontestable
Si la pensée court-terme domine, la valeur générée par la construction de marques fortes a pourtant été démontrée, au moins à quatre niveaux :
- Investir sur sa marque, c’est augmenter son impact sur les ventes à long-terme. Souvent citée comme “la référence” en termes d’études sur le R.O.I., le modèle développé par Lee Binet et Peter Field, explique que si les coups tactiques génèrent immédiatement des ventes, l’investissement sur la marque permet de générer un modèle de ventes plus durable et efficace dans le temps. A titre d’exemple concret, en 2021 Allianz a adopté un nouveau positionnement plus émotionnel (Confidence in Tomorrow). Ce changement lui a permis d’augmenter sa valeur de marque de 23 % entre 2021 et 20221 et son taux de prescription, avec 58 % des client·es qui recommandent la marque en 20232.
- Investir sur sa marque permet une premiumisation du prix. A contre-courant des approches promotionnelles, les marques fortes peuvent appliquer une politique de prix plus élevée. Une étude Millward Brown menée sur 28 années d’analyses démontre que les marques ayant un “vrai levier de différenciation” peuvent pratiquer des prix 13 % supérieurs aux alternatives de leur secteur.3
- Les marques fortes ont une grande valeur financière. Pour ne citer qu’un exemple, lorsqu’en 2005 Procter & Gamble rachète Gillette pour 57 milliards de dollars, ce chiffrage implique une valorisation de la marque seule à hauteur de 24 milliards de dollars.
- Les marques engagées contribuent à retenir les talents. Remplacer un talent représente en moyenne six à neuf mois de son salaire en termes de coûts (latence, recrutement, intégration…). Or les entreprises ayant une marque employeur forte autour d’une mission ont un niveau de rétention 40 % plus élevé que leurs concurrents.
Si la marque a donc une valeur incontestable, sa construction nécessite une coopération au quotidien entre la finance et le marketing autour d’objectifs communs.
Quand le groupe Match (Meetic) fait de la finance et du marketing une affaire commune
Avec une présence dans une vingtaine de pays et un portefeuille d’une dizaine de marques, le groupe Meetic Europe est un acteur incontournable de la rencontre en ligne. A tel point que 8 millions de couples en Europe se sont formés grâce à Meetic Europe.
Mais si ça match côté utilisateur et utilisatrice, c’est très certainement parce que marketing et finance ont su “matcher” leur collaboration pour la rendre optimale, dans un marché bien particulier.
“Les internautes recherchent en priorité des marques. Elle est donc essentielle dans notre secteur”.
Car oui, quand on parle de sites de rencontre, on ne cherche pas à fidéliser “sa clientèle” comme l’explique Céline Boudière, CMO de Meetic Europe “par nature, notre business a beaucoup de churn, on ne fidélise pas un·e célibataire. Au contraire nous sommes content·es lorsqu’un·e célibataire nous quitte !”. Une situation qui oblige la marque à investir en permanence pour être toujours présente auprès d’un public en renouvellement constant. Une stratégie accentuée par le fait que le secteur est fortement drivé par les marques “les recherches organiques à partir de mots clés génériques comme “sites de rencontre” ou “rencontres sérieuses” sont très faibles. Les internautes recherchent en priorité des marques. Elle est donc essentielle dans notre secteur”.
Entre leviers de performance et leviers de branding, le Groupe a dû apprendre à jongler en permanence : “nous devons à la fois investir en bas de funnel tout en ventilant ces investissements entre nos différentes marques, mais également veiller au maintien des marques sur le long-terme en respectant un seuil d’investissement suffisant. Nous sommes always on, nous investissons tout le temps” ajoute Céline Boudière.
Pour veiller au mieux à la juste répartition de ces investissements, la directrice marketing a conçu un cadre méthodologique propre avec les équipes de Marc Foissey, CFO de Meetic Europe. Et comme souvent, cela commence par une vision commune. “Nous avons une vision de la finance comme un business partner. Nous nous attelons à fournir des KPIs financiers et non financiers pour éclairer la prise de décision”, explique-t-il.
“Nous sommes physiquement sur le même plateau et nous avons des temps forts réguliers. C’est une des clés du succès”.
C’est ainsi que le groupe a conçu une matrice marketing-finance qui permet d’ajuster les investissements et les objectifs en fonction de la maturité et de la phase dans laquelle se trouve une marque du groupe. “Sur les phases de lancement, on va par exemple focaliser les investissements sur la marque pour développer de la croissance, du bouche à oreille et de la considération. Lorsqu’une marque est dans une phase d'accélération, on va commencer à regarder le ROI et veiller à ce qu’il soit nul ou positif. Dans une phase de croissance, nous serons plus attentifs au ROI. Et enfin pour les marques matures comme Meetic, nous allons mettre l’emphase sur les investissements de marque au bon moment pour piloter du revenu plutôt qu’un lancement de marque où l’on aura investi plus fortement au début” détaille Marc Foissey.
Si le cadre pose les bases d’une relation fertile autour d’objectifs communs, l’équipe marketing-finance de Meetic Europe insiste également sur les échanges fréquents et l’itération entre les deux services pour tester les scénarios marketing.
Comme témoigne Marc Foissey “nous sommes physiquement sur le même plateau, nos équipes sont à côté, et nous avons également des temps forts réguliers : définition du plan, rapports mensuels… C’est une des clés du succès”. Céline Boudière ajoute “Marc est également intégré à nos comités marketing mensuels pendant lesquels on pitch les projets et les investissements futurs tout en partageant les résultats des initiatives passées. C’est l’occasion pour nous d’expliquer notre vision et les impacts escomptés sur le funnel. Ce sont des meetings concrets et intéressants qui rendent notre relation fructueuse.“
Pour penser son organisation de façon pérenne, sur le temps long, la marque s’avère donc être un actif stratégique et complémentaire aux actions court-terme pour maintenir le cap de la croissance. Une réussite qui se passe aussi dans les coulisses de la relation marketing et finance avec une culture et un langage commun, des cadres identiques pour coopérer et des objectifs partagés.