Raphaël Haddad est fondateur de l’agence Mots-Clés spécialisée dans l’éditorial et l’influence et docteur en analyse du discours. Passionné par les effets sociaux des mots, il analyse la manière dont ils changent nos représentations et s’attarde plus précisément sur les raisons qui peuvent pousser les entreprises à adopter l’écriture inclusive1.
Comment l’agence Mots-Clés s’est-elle intéressée à l’écriture inclusive ?
L’agence a été créée en 2011 : j’aimais écrire et j’étais passionné par les effets sociaux des mots. En parallèle, je me suis rendu compte que ce qui me passionnait avait un nom : l’analyse du discours. J’ai alors écrit une thèse qui portait sur le sujet. En 2016, j’ai créé un petit manuel qui faisait suite à cette thèse. Fin 2017, un article sorti dans Les Echos intitulé "écriture inclusive : et si on s’y mettait tou·te·s ?” a fait apparaître le sujet sur l’espace public et a contribué à consacrer l’expression. Nous avons alors reçu de nombreuses demandes sur ce sujet.
Comment l’écriture inclusive est-elle peu à peu apparue dans la communication des entreprises ?
L’écriture inclusive est d’abord un phénomène observé dans la sphère politique. Au cours de ma thèse, je me suis intéressé à la façon dont certaines personnalités ont commencé à utiliser les deux genres d’un même groupe : Français / Françaises, Travailleurs / Travailleuses, etc. Les débats publics regorgent d’exemples. Or, depuis deux ans environ, on observe en France une massification de l’utilisation et une réappropriation par la sphère privée, dans un contexte de développement des questions liées à la diversité et l’inclusion en entreprise. Un des groupes pionniers a été 3F, un bailleur social. Aujourd’hui, on a l’occasion de constater quasiment tous les jours un cas d’écriture inclusive dans la communication corporate. C’est par exemple le cas de Zalando dans une récente campagne publicitaire, de Deliveroo dans ses mails de confirmation ou de Netflix sur ses réseaux sociaux.
Et bien sûr Google, qui intègre d’ailleurs l’écriture inclusive dans ses résultats de recherche, comme dans la conjugaison des verbes par exemple. On n’est clairement plus sur un sujet d’avant-garde.
Qu'est-ce qui motive les entreprises et institutions à passer le cap et quels freins rencontrent-elles ?
Concernant les motivations, au-delà de l’engagement moral de certaines entreprises, je vois au moins trois raisons utilitaristes. C’est d’abord un levier de féminisation des candidatures, c’est aussi un levier de rajeunissement des audiences et enfin c’est un outil qui donne du crédit aux personnes qui travaillent sur les questions d’égalité salariale.
Concernant les freins, il s’agit essentiellement de postures idéologiques ou de jeux de pouvoir. C’est un fait : les résistances à la féminisation des noms de métiers vont grandissant à mesure que l’on progresse dans l’organigramme. On peut craindre ensuite une remontée des problèmes liés à l’inégalité des genres : on a peur qu’il faille être parfait·e sur ce champ pour l’utiliser. Mon conseil à celles et ceux qui souhaiteraient l’adopter est de ne pas douter. Si l’écriture inclusive peut permettre de faire progresser l’égalité en entreprise, c’est tant mieux !
Quels conseils donneriez-vous à une marque qui souhaite adopter l’écriture inclusive dans ses communications ?
Pour que ça soit compris et soutenable, je vois trois règles que je précise dans notre manuel d’écriture (disponible en ligne) :
1- Accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres
2- User du féminin et du masculin, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, l’usage du point médian, ou le recours aux termes épicènes (qui désignent aussi bien l’homme que la femme, comme les personnes, les secrétaires, etc.)
3- Ne plus utiliser « Homme » comme terme générique pour désigner l’ensemble de l’humanité.
Avec ça, on couvre 100% du champ de l’écriture inclusive. Il faut en revanche que ce soit fluide d’un point de vue éditorial. Nous conseillons une utilisation modérée du point médian notamment, ou d’éviter les redoublements de mots trop fréquents (tels que consommatrices et consommateurs). Ce sont des principes UX assez basiques. Si on veut que l’écriture inclusive se généralise, il ne faut pas qu’elle entrave la beauté de la langue à laquelle les Français⸱es sont très attaché·es.