Une part croissante de citoyen·nes attend des entreprises qu’elles s’engagent et adoptent des partis pris forts. Seulement quand celles-ci le font, les boucliers de scepticisme se hérissent, et pour cause : 21% seulement des Français et Françaises font confiance aux grandes marques(1). Dans ce contexte, comment y voir plus clair et construire un langage authentique qui remette le sens à l’honneur ? Rencontre avec Élodie Mielczareck, sémiologue et autrice de Anti Bullshit - Post-vérité, nudge et storytelling : quand les mots n’ont plus de sens (et comment y remédier).
Comment expliquez-vous la multiplication des contresens dans les discours qui nous entourent aujourd’hui ?
Il y a un décalage entre le langage d’un côté et les expériences vécues à l’inverse des mots utilisés, entendus ou lus. Pour désigner cette dissonance, j’utilise volontairement l’anglicisme “bullshit” dans sa langue originelle, parce que nous français, restons trop politiquement correct dans sa traduction.
Quelles seraient les vertus de l’adoption d’un langage vrai, d’un certain franc-parler, par les annonceurs ?
L’incarnation me semble être le pilier fondamental de toute communication. Vous y entendez le mot “carne”, c’est-à-dire la viande, la chair, ce qui se passe dans nos tripes. À force d’utiliser des mots zombies et des discours creux et évidés, on communique du rien, du vide. Il est temps de renverser la tendance. Pour cela, encore faut-il en avoir conscience, puis prendre sa part de responsabilité (assumer).
Comment construire un langage authentique en tant que communiquant ?
Avant tout, il faut une vigilance individuelle et collective sur la manière dont on utilise les mots et ceux auxquels on est soumis. Être attentif aussi aux images et symboles qui nous entourent parce qu'ils sont capables de nous transmettre des messages.
Heureusement, il existe des lieux qui semblent neutraliser les non-sens : la curiosité, l’humour et la poésie. Le philosophe Edgar Morin nous le rappelle : “Vivre de prose n’est que survivre. Vivre, c’est vivre poétiquement”. Quant à l’humour, il permet de faire le millimètre de côté pour ne pas se laisser embarquer par l’étroitesse d’une pensée, voire d’une idéologie. Par exemple, les “memes” recréent la réalité à l’infini. Une manière de se réapproprier le réel et l’espace public.
Quelles bonnes pratiques conseilleriez-vous aux responsables communication d’appliquer au quotidien pour entrer dans ce nouveau paradigme du langage ?
Dans l’ouvrage Anti Bullshit, volontairement théorique et pratique, se trouve le “thermomètre du langage authentique”. Vous avez la zone verte qui correspond au fonctionnement de la langue normale et la zone rouge qui est la zone “malade”. Cette répartition reprend, notamment, les points de vigilance émis par George Orwell lui-même : éviter les métaphores, comparaisons ou toute autre figure de rhétorique que vous avez déjà lue à maintes reprises, préférez les mots courts, n’hésitez pas à en supprimer, préférez le mode actif au mode passif. Enfin, évitez les expressions étrangères, les termes scientifiques ou spécialisés si vous pouvez utiliser un mot de tous les jours - ou, a minima, explicitez-les. J’ajoute qu’il est normal, et du ressort de la vitalité de la langue, d’utiliser des néologismes (nouveaux mots, exemple en 2021 “covidés”, “rassuristes”, etc.), des lapsus (de toute façon incontrôlables), parfois même des mots trop-plein-de-sens (“démocratie”, “parité”, “innovation”).
S’il existait une check-list du langage authentique, quelle serait-elle ?
Trouver son langage authentique est une maïeutique, au sens d’accouchement de l’esprit. Je trouve que la notion d’atelier collaboratif est pertinente. C’est au collectif, à l’entreprise, et aux personnes qui la composent de faire émerger le sens qui les anime. L’idée est de s’échapper petit à petit du conventionnel pour trouver sa propre signature verbale, son rythme, son style. Trois axes sont donc importants à creuser pour construire un langage authentique :
1 - Choisir les mots-signatures qui vous définissent,
2 - Fédérer autour d’une parole utile, porteuse de votre imaginaire commun,
3 - Avoir conscience d’où se situent vos tabous, vos mots-Voldemort, dont on ne doit pas prononcer le nom.
In fine, le résultat ne doit pas être qu'analytique (charte verbale ou autre), il doit également être poétique (par sa forme et son contenu). Ces deux aspects sont complémentaires. Pourtant, le dernier est souvent oublié. Je suis totalement en phase avec le physicien Aurélien Barreau lorsqu’il déclare : "Une fois de plus : les poètes sont bien plus essentiels et efficaces que les économistes, les physiciens et les politologues pour aborder la question.” En effet, là où il y a des humains, il y a de la vie, il y a du cœur. Vous me permettrez donc de conclure sur cette magnifique citation de Giono : “La richesse de l'homme est dans son cœur".
Pour en apprendre plus sur la nécessité d’adopter un langage authentique, vous pouvez écouter le Ted Talk d’Élodie Mielczareck au Panthéon-Assas, ou visiter son site internet.