Depuis qu'elle a constaté que le travail créatif de Google ne reflétait pas la réalité, Lorraine Twohill, directrice marketing de Google, a ouvert la voie à un marketing plus inclusif. Cet article décrit l'approche adoptée par Google et montre que la diversité constitue un défi immense, qu'aucune entreprise ne peut relever seule.
Comme tout CMO, je passe beaucoup de temps à examiner des créations, ce qui signifie que je reçois une grande quantité d'images, souvent très belles. Or, depuis plusieurs années, la plupart d'entre elles représentaient de jeunes « hipsters » parfaits, habitant de belles maisons dans des villes sympa. Nos produits s'adressent à tout le monde, mais nos images ne reflétaient pas cette universalité.
Nous étions face à un problème, et il fallait avancer. Nous avons choisi d’adopter un marketing plus inclusif pour être certains que chaque utilisateur se reconnaisse dans notre travail créatif. Bien sûr, nous ne prétendons pas avoir toutes les réponses, mais je souhaite vous partager 4 leçons que nous avons apprises, parfois difficilement.
1. La composition de votre équipe est importante
La première étape consiste à accroître la diversité des équipes créatives. En 2018, moins de 6% des personnes qui travaillent dans le secteur publicitaire sont noires, et ce chiffre est en baisse depuis 2010. Comme tout le monde le sait, cela prend du temps de dénicher des talents variés. Et, quand on doit pourvoir un poste vacant dans la précipitation, la facilité est de s'en remettre aux profils habituels. Aujourd'hui, dans le cadre d'un recrutement, nous faisons en sorte d'étudier un vaste panel de candidats, provenant d'horizons divers, avant de prendre une décision.
Et cela ne concerne pas uniquement nos équipes. Nos agences partenaires ont aussi leur importance. Par exemple, lors de réunions avec nos agences, je me retrouve bien trop souvent dans une pièce remplie d'hommes. En tant qu'entreprise, nous avons commencé à nous interroger sur les raisons et la démarche à adopter. Il en va de notre responsabilité de toujours nous poser les bonnes questions.
La diversité s'exprime bien au-delà des différences de genre ou de couleur de peau. C'est aussi une question d'âge, de localisation, de diversité, d'emplois, de compétences, de sexualité.
On peut faire la différence. Lors d'une réunion de lancement d’un nouveau produit, un responsable d'agence évoquait une fonctionnalité destinée aux utilisateurs latino-américains, qu'aucun d'entre nous n'avait imaginée. Justement, il était latino-américain et voyait les choses sous un prisme différent. Un tout inestimable.
Nous devons également inspirer la prochaine génération de créatifs. Je suis très fière d’annoncer cette année, à l'occasion des Cannes Lions, le lancement d’un nouveau programme baptisé Google Creative Campus. Nous travaillons avec des organisations comme Livity UK et le Marcus Graham Project aux États-Unis. L'objectif est de former et d'accompagner des étudiants issus de milieux traditionnellement sous-représentés, à Cannes et à Mountain View (Californie).
2. La diversité n'est pas une simple case à cocher
La diversité s'exprime bien au-delà des différences de genre ou de couleur de peau. C'est aussi une question d'âge, de localisation, de diversité, d'emplois, de compétences, de sexualité. Nos images mettaient en scène des origines ethniques très diverses, mais les personnes représentées semblaient toutes travailler dans le secteur des technologies, et vivre dans des zones urbaines et branchées.
Pour avancer dans la bonne direction, nous avons proposé une formation d'une demi-journée à nos équipes. L'idée est de leur apprendre à recruter des groupes sous-représentés pour l'analyse d'audience et de les faire réfléchir à la nécessité de n'exclure personne lors de la définition d'une audience cible. 90% de nos équipes et 200 de nos principales agences partenaires ont déjà suivi cette formation, et nous diffusons désormais des cours en ligne.
Dans nos projets, nous essayons de refléter le monde dans lequel nous vivons, et non un univers déconnecté de la réalité. En début d'année, nous avons notamment lancé une campagne digitale et sociale, baptisée #QuestionYourLens, pour le smartphone Pixel 2. Nous avons travaillé en collaboration avec le rappeur Logic à l'occasion des Grammy Awards. Le but était de montrer des personnes réelles et l’histoire qui se cache derrière certaines images lisses et parfaites. En l'occurrence, leur combat contre la dépression.
3. Pas de femmes en cuisine, s’il vous plaît !
Pour raconter des histoires auxquelles les utilisateurs peuvent s'identifier, vous devez aussi comprendre parfaitement les personnes que vous souhaitez toucher et éprouver une réelle empathie à leur égard. Si vous véhiculez des stéréotypes, les utilisateurs comprendront très vite que vous ignorez qui ils sont vraiment. Actuellement, seulement 37% des personnes qui apparaissent dans des annonces publicitaires sont des femmes. Et parmi elles, une trop grande proportion occupe des rôles stéréotypés. Dans une étude récente, 85% des femmes déclarent que les annonces ne reflètent pas qui elles sont vraiment.
Il y a quelque temps, mon équipe m'a proposé d'étudier une nouvelle campagne. Le père préparait le repas, c'était parfait ! J'étais fière d'elle, car elle avait ainsi démonté un cliché. Sauf que l'image suivante montrait l'homme en cuisine, tandis que sa femme était à la maternité auprès de son bébé. Il a fallu tourner une nouvelle vidéo avec la mère en voyage d'affaires.
Si vous véhiculez des stéréotypes, les utilisateurs comprendront très rapidement que vous ignorez qui ils sont vraiment.
Cela va au-delà du casting. Nous devons tenir compte de chaque élément de la création. Avoir des personnages authentiques est clé. Mais la musique, la dynamique familiale, la nourriture, les vêtements et la façon dont les produits sont représentés ont aussi leur importance. L'année dernière, dans le cadre de notre campagne sur les Chromebooks, nous avons passé beaucoup de temps à discuter avec des consommateurs latino-américains. Le résultat, Lo Tuyo es Chromebook, a eu un formidable écho auprès de cette audience, bien meilleur que tout ce que nous avions fait auparavant.
Pour être certains de faire les choses correctement, nous avons constitué un comité consultatif dédié avec 40 Googlers de groupes traditionnellement sous-représentés.
Nous essayons également d’aider les autres à raconter leur histoire. C'est ainsi que nous avons participé au projet Lynching in America aux cotés de l'association Equal Justice Initiative de Bryan Stevenson. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons travaillé avec des organisations LGBTQ à la création de visites virtuelles de 25 marches des fiertés à travers le monde. Toute personne, qui ne pouvait se déplacer, pouvait alors participer au mouvement.
4. Plus responsables, ensemble
Enfin, si nous voulons évoluer vers un marketing véritablement multiculturel, nous devons mettre en place des outils capables de mesurer nos progrès et d'en assurer le suivi.
En collaboration avec le Geena Davis Institute et USC, nous avons utilisé le machine learning pour comprendre comment la société est représentée dans les vidéos. Les premiers résultats nous ont surpris : 54% de nos images montrent des hommes. Si la réalité est ici plus positive que nous le craignions, nous faisons moins bien dans d'autres catégories. D'après une analyse manuelle, l'âge moyen semble être autour de 26 ans, bien en-dessous de la moyenne nationale de 38 ans. Et seulement 10% de nos images en ligne représentent des Noirs ou des Latino-américains. Ces observations nous servent de benchmark et nous permettent d’avancer concrètement vers nos objectifs.
La route est longue avant d'obtenir une réelle diversité dans la publicité. Seules les premières étapes ont été parcourues, mais un débat ouvert permettra à tous les acteurs d’accélérer le pas vers un marketing inclusif.
Une version de cet article a déjà été publiée dans Adweek.